Abdallah le cruel
bénéfice de cette opération. Tu as parlé pour toi et pour les
tiens et tu t’es bien gardé de mentionner ma famille dont tu jalouses la
noblesse.
— De quelle noblesse
parles-tu ? tonna Kuraib Ibn Khaldun. Je suis un Arabe, fils d’Arabe,
petit-fils d’Arabe et mes ancêtres parcouraient le désert où ils recevaient
l’hommage des tribus bédouines. Mon sang est indemne de tout mélange impur. On
ne peut en dire autant des prétendus Banu Hadjdjadj. Qui ici, à Ishbiliyah,
ignore que vous descendez en fait d’une princesse Chrétienne, Sara,
petite-fille du roi Witiza ? Tu n’es pas un Arabe. Tu n’es qu’un muwallad
encore que ceux-ci valent mieux que toi. Ils ont fait semblant de se convertir
à l’islam, contrairement à ton aïeule, née et morte Chrétienne.
Ibrahim Ibn Hadjdjadj blêmit sous
l’insulte et se réjouit d’avoir pris ses précautions. Quand on l’avait prévenu
de l’arrivée inopinée de ses adversaires, il s’était douté que ceux-ci
n’étaient pas venus dans des intentions pacifiques. Ils ne pouvaient avoir
miraculeusement changé du jour au lendemain. Il avait donc ordonné à ses
gardes, prévenus par son majordome, de se dissimuler derrière les lourdes
tentures du salon où il ferait conduire les deux frères. Il frappa dans ses
mains. Kuraib et Khalid Ibn Khaldun pensèrent qu’il leur signifiait ainsi leur
congé et ils tournèrent le dos, ravis d’avoir enfin dit à leur rival ce qu’ils
pensaient de lui. C’est à ce moment-là que les gardes d’Ibrahim Ibn Hadjdjadj
sortirent de leur cachette et les égorgèrent avant de jeter leurs cadavres dans
le fleuve. Sitôt prévenus, les partisans des Banu Hadjdjadj partirent mettre à
sac les demeures de leurs victimes et de leurs clients. Plusieurs dizaines
d’entre eux, qui ne se doutaient de rien, furent tués alors qu’ils vaquaient
tranquillement à leurs occupations. Puis les émeutiers s’emparèrent de la
forteresse dont la garnison préféra déposer les armes. Le wali Ibrahim Ibn
Hashim Ibn Abd al-Aziz, qui tenta de ramener à la raison les assaillants et qui
les menaça de terribles représailles, fut assassiné.
Le lendemain, le mariage d’Ibrahim
Ibn Hadjdjadj fut célébré dans une ville encore sous le choc des terribles
événements dont elle avait été le théâtre. Terrorisés, les habitants, toutes
confessions confondues, jugèrent plus prudent de manifester leur joie et
s’empressèrent, les jours suivants, de prêter serment d’allégeance au nouveau
maître d’Ishbiliyah. Jouant le tout pour le tout, celui-ci prétendit
qu’Abdallah, informé de ce qui s’était passé, lui avait écrit pour lui confier
la charge de gouverneur par intérim, affirmation que nul n’osa contredire. Puis
il envoya au monarque une longue lettre, lui expliquant qu’il avait agi de la
sorte pour calmer les esprits et il lui révéla en même temps le rôle joué par
Kuraib Ibn Khaldun dans le complot qui avait conduit à l’exécution d’Abd
al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya.
Quand on lui communiqua ce texte, le
souverain laissa éclater sa colère. Cet imbécile d’Ibrahim Ibn Hashim Ibn Abd
al-Aziz était le véritable responsable de ce gâchis. Il n’aurait jamais dû le
nommer wali. Il était tout juste bon à servir comme greffier à la chancellerie.
Confiné dans son palais, il n’avait pas perçu l’aggravation des rivalités entre
les Banu Khaldun et les Banu Hadjdjadj et il l’avait payé de sa vie. Abdallah
ne savait pas quelle conduite adopter. S’il refusait d’accorder son investiture
à Ibrahim Ibn Hadjdjadj, celui-ci rejetterait son autorité et ses pairs ne
tarderaient pas à apprendre que l’émir avait perdu le contrôle de la troisième
ville d’al-Andalous. S’il reconnaissait l’avoir nommé wali, il cédait au coup
de force d’un rebelle et créait un dangereux précédent. De plus, Walid Ibn
Khaldun, seul survivant de la tuerie, s’était réfugié à Kurtuba et lui avait
demandé audience, sans doute pour exiger le châtiment des meurtriers de ses
frères.
Sur les conseils du hadjib, il reçut
cet homme, connu pour ne s’être jamais mêlé des affaires publiques et qui
n’avait pas l’étoffe d’un combattant. Très digne, ce notable expliqua à
Abdallah qu’à ses yeux, le sang avait trop coulé. Il ne remettrait jamais plus
les pieds à Ishbiliyah, où sa sécurité n’était pas assurée, et avait donc
décidé d’émigrer en Ifriqiya où sa femme
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