Abdallah le cruel
monarque une fidélité absolue qui compensait ses
défauts. Craignant de déplaire, il s’abstenait soigneusement de prendre la
moindre initiative et se contentait d’exécuter à la lettre les ordres qu’il
recevait de Kurtuba. Précautionneux, il adressait régulièrement au souverain
des rapports secs et précis sur la collecte des impôts et sur l’état
d’avancement des travaux d’aménagement de la cité. Abdallah parcourait d’un œil
distrait ces textes d’un mortel ennui, désespérant d’y trouver une information
intéressante. Vivant quasi reclus dans son palais, le gouverneur en sortait si
peu que ses administrés donnaient par dérision le titre de « wali »
aux voyageurs étrangers qui demandaient leur chemin.
Plongé dans l’étude de ses dossiers,
Ibrahim Ibn Hashim Ibn Abd al-Aziz n’avait pas remarqué la dégradation des
relations entre les deux principales familles patriciennes d’Ishbiliyah.
Furieux, Ibrahim Ibn Hadjdjadj avait demandé à Kuraib Ibn Khaldun de le
dédommager de sa part de la rançon, arguant qu’il n’avait pas été consulté. Son
interlocuteur lui avait ri au nez. Depuis, il cherchait à se venger. Avertis de
ses intentions, les Banu Khaldun évitaient de le provoquer, au risque de passer
pour des couards. Leur modération avait d’ailleurs eu pour effet une diminution
sensible de leur popularité et du nombre de leurs clients. Inquiets pour
l’avenir, beaucoup avaient jugé préférable de faire allégeance à Ibrahim Ibn
Hadjdjad, pourtant moins généreux que leurs anciens protecteurs.
Ibrahim annonça son intention de se
remarier avec la veuve du prince Hisham dont les domaines jouxtaient les siens.
Abdallah, après avoir longtemps hésité, donna son accord à cette union, à
condition que l’épouse renonce aux privilèges dont bénéficiaient les parents du
monarque, ce qu’elle accepta. Des fêtes somptueuses furent données à Ishbiliyah
pour célébrer cet événement. Par centaines, les clients et les partisans des
Banu Hadjdjadj affluèrent en ville. Le wali ne prit aucune précaution
particulière comme, par exemple, mettre en état d’alerte la garnison. Après
tout, la future épouse avait eu rang de princesse et il n’ignorait pas qu’après
l’exécution de son mari, l’émir l’avait comblée de faveurs. Mieux valait ne pas
froisser sa susceptibilité. La seule initiative à laquelle il se résolut, et
qui fut lourde de conséquences, fut d’exiger des Banu Khaldun qu’ils fassent
taire leurs rancœurs et qu’ils se rendent chez Ibrahim Ibn Hadjdjadj pour le
féliciter.
Les deux frères attendirent la
veille de la cérémonie pour effectuer cette visite sans prendre la peine
d’annoncer leur venue. Quand on l’informa que ses ennemis se trouvaient chez
lui, Ibrahim donna des ordres à son majordome et alla à leur rencontre. À leur
mine, il comprit qu’ils se seraient volontiers abstenus de cette démarche et
que de fortes pressions avaient été exercées sur eux. Il les salua cordialement
et les conduisit vers un vaste salon où, dit-il, une modeste collation avait
été préparée à leur intention. Kuraib Ibn Khaldun lui demanda d’excuser
l’absence de son frère Walid, retenu par ses obligations au Bordj Aben
Khaldhun. Ibrahim Ibn Hadjdjadj sourit et dit :
— Je lui pardonne volontiers.
Je sais qu’il préfère la compagnie des paysans. Il a d’ailleurs bien des soucis
si j’en crois la rumeur publique. Des bruits circulent, affirmant qu’il a
essuyé de lourdes pertes et qu’il est pratiquement ruiné.
— On t’a mal renseigné. Mon
frère possède des richesses dix fois supérieures aux tiennes.
— Je veux bien le croire. Il
est vrai qu’il ne s’est pas appauvri en versant une rançon pour la libération
de son fils.
— Que veux-tu dire par
là ? demanda Kuraib Ibn Khaldun.
— Tu sais très bien ce à quoi
je fais allusion. De quel droit as-tu osé disposer de mon argent ? Nous
avions pris les précautions nécessaires pour le récupérer et tu as reconnu que
tu avais dévoilé à l’émir le piège tendu à son fils. Pourquoi t’es-tu comporté
en grand seigneur capable de gaspiller un tel trésor ? Était-ce pour faire
oublier ton rôle dans l’exécution d’Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya ?
Car tu as manigancé sa perte avec Mutarrif et Awsat Ibn Tarik.
— Tu étais au courant et tu
avais approuvé notre plan.
— Reste que c’est toi qui as
retiré tout le
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