Abdallah le cruel
contraire leur avis. Le général Ubaid Allah Ibn
Mohammad Ibn Abi Ibn Abda, tenu jusque-là à l’écart des opérations, résuma
l’opinion de ses collègues :
— Les rues menant au palais de
ton fils sont trop étroites pour que nous puissions y faire passer les machines
de siège. S’approcher trop près des portes de sa résidence causera des pertes
inutiles. Je ne vois qu’une solution. Mettre le feu au palais à partir du toit
des maisons qui l’entourent et qui ont été abandonnées par leurs occupants. Il
y a bien entendu un risque que nous ne pouvons négliger. Les flammes se
communiqueront aux autres bâtiments et nombre d’entre eux risquent d’être
détruits.
— Est-ce la seule
solution ?
— Oui.
— Je ferai reconstruire sur mes
deniers personnels les demeures détruites et je puis vous assurer que leurs
propriétaires ne perdront pas au change. Qu’on suive ton plan !
Les habitants de la cité grimpèrent
sur les toits pour observer de loin les volutes de fumée qui montaient vers le
ciel. Les Muets avaient été postés à l’entrée du quartier et interdisaient à
quiconque d’y pénétrer. On entendait distinctement le bois des charpentes
crépiter et celles-ci s’écrouler. Quand les maisons entourant le palais de Mutarrif
ne furent plus qu’un tas de cendres fumantes, Ubaid Allah Ibn Mohammad Ibn Abi
Ibn Abda donna l’ordre à ses troupes d’attaquer. Les soldats avaient pris soin
de se protéger le visage d’un linge humide pour pouvoir respirer. Les gardes de
Mutarrif étaient, eux, affaiblis. Ceux qui avaient tenté d’éteindre les foyers
d’incendie avaient, pour la plupart, été intoxiqués par la fumée. Moyennant
l’assurance d’avoir la vie sauve, les survivants acceptèrent de se rendre. Avec
ses derniers compagnons, Mutarrif s’était réfugié dans les caves, à la
recherche d’un souterrain donnant accès aux égouts. Débusqués, ils se battirent
comme des lions avant d’être contraints de déposer les armes. Chargés de
lourdes chaînes, ils furent conduits, sous les huées de la foule, jusqu’à la
grande mosquée où les dignitaires religieux ne prirent pas la peine de les
entendre, leurs crimes étant avérés. Condamnés à mort, ils furent exécutés et
leurs têtes clouées sur la porte du Pont. Par égard envers les enfants de
Mutarrif, Abdallah obtint du tribunal, qui n’avait rien à lui refuser, que
pareil déshonneur soit épargné à la dépouille mortelle de son fils. Il le fit
inhumer dans ses jardins, sous un bosquet de myrtes à proximité duquel il avait
l’habitude, la nuit venue, de boire coupe de vin sur coupe de vin. Conformément
à sa promesse, l’émir fit reconstruire à ses frais les maisons incendiées et
dédommagea largement leurs propriétaires. Sur les ruines du palais, il fit
édifier une mosquée.
L’exécution de Mutarrif ramena, en
apparence, le calme dans al-Andalous. Le prince comptait peu de partisans
sincères. Ses compagnons avaient péri avec lui et les courtisans n’avaient
qu’une seule obsession : se faire oublier et faire oublier qu’ils avaient
naguère recherché les faveurs du condamné. Principaux témoins à charge contre
Abd al-Malik Ibn Abdallah Ibn Umaiya, le chef berbère Awsat Ibn Tarik et
l’officier Omar Ibn Abd al-Rahman al-Thalaba, redoutant la vengeance du
monarque, s’embarquèrent pour l’Orient à al-Mariya, dans le but d’offrir leurs
services aux Abbassides. Ils n’arrivèrent jamais à destination. Leur navire,
pris dans une tempête, sombra au large des côtes de l’Ifriqiya. Les familles
des membres de l’équipage pouvaient attester du malheur qui les avait frappées.
On ne les crut pas. À Kurtuba, la rumeur se répandit qu’Abdallah avait envoyé
des tueurs à la poursuite des fugitifs. Après les avoir capturés, les sbires de
l’émir les auraient enfermés dans une pièce dont toutes les issues avaient été
murées. Les malheureux auraient péri de faim et de soif après une interminable
agonie et, insulte suprême, leurs cadavres auraient été donnés comme nourriture
à des porcs. Dans les tavernes, des conteurs distrayaient le public en débitant
de longs poèmes sur la fin tragique des deux hommes, n’hésitant pas à enjoliver
leurs récits de détails invraisemblables pour mieux captiver l’attention de
leur auditoire. Quand on lui rapporta ce fait, Abdallah haussa les épaules.
C’était mal le connaître, dit-il, d’imaginer qu’il
Weitere Kostenlose Bücher