Abdallah le cruel
conduirai à l’église de
Bobastro.
Alfonso sursauta. Il ignorait que
pareil bâtiment existât. Il n’en avait jamais entendu parler lors de ses
précédentes visites et crut qu’on se moquait de lui :
— Ce n’est pas très aimable de
ta part de me raconter des sornettes.
— Je t’assure que je ne plaisante
pas. Notre chef a recruté récemment beaucoup de guerriers chrétiens. Ceux-ci
n’ont accepté de passer à son service qu’à la condition de pouvoir disposer
d’un lieu de culte et d’un prêtre. Mon maître a fait bâtir une chapelle et a
engagé l’un de tes semblables. Celui-ci l’a accompagné pour son expédition. Je
suis sûr que tu trouveras dans sa chambre tout ce dont tu as besoin pour tes
cérémonies.
Le prêtre constata que le domestique
lui avait dit la vérité. Il découvrit un modeste oratoire derrière les
dépendances de la forteresse et une dizaine de serviteurs chrétiens assistèrent
à l’office qu’il célébra. Alfonso était heureux de pouvoir leur prêcher
l’Évangile. Il se demandait cependant ce que signifiait tout cela. Il devinait
que les attentions dont il était l’objet dissimulaient quelque chose qu’il
était bien en peine de définir et ses coreligionnaires ne purent lui donner
aucune explication satisfaisante.
Celle-ci lui fut fournie quelques
jours plus tard. Revenu victorieux de son expédition, Omar Ibn Hafsun le fit
appeler et le salua chaleureusement :
— Je te remercie d’avoir
patienté aussi longtemps. J’espère que tu as été traité correctement.
— Je ne sais comment te
manifester ma gratitude. Je suis réellement indigne de tant de bontés. Tu
n’ignores pas que je n’ai jamais refusé de venir à Bobastro quand tu me faisais
appeler pour l’un de tes hommes. C’est mon devoir de prêtre et j’étais le seul
dans cette région. D’après ce que j’ai appris, ce n’est plus le cas. L’un de
mes frères en Dieu est à ton service et peut donc apporter les secours de notre
religion à ceux qui les sollicitent. J’ai d’ailleurs demandé à Dieu de
t’accorder Sa bénédiction et Sa protection pour te récompenser de ce geste qui
t’honore. Tu es Musulman et tu veilles à ce que tes guerriers chrétiens
puissent pratiquer leur religion. Cela me réjouit. Mais je te suis désormais
inutile et je te demande donc très humblement l’autorisation de repartir dans
mon village où mes fidèles m’attendent.
— Je crains malheureusement que
cela soit impossible. Tu dois rester ici.
— Pourquoi ? Chacun sait
que tu n’es pas homme à t’emparer de captifs pour exiger de leurs parents des
rançons. Tu punis d’ailleurs sévèrement ceux des tiens qui agissent de la sorte
et je t’en félicite. Je ne puis croire que je suis ton prisonnier.
— Ce serait mal te prouver mon
estime et mon amitié. Tu es mon invité et je considère comme un grand privilège
le fait de pouvoir accorder l’hospitalité à un homme de ton rang.
— Je ne suis qu’un modeste
serviteur de Dieu, protesta Alfonso.
— C’est ce que tu veux faire
croire et c’est tout à ton honneur. Je ne te reproche pas d’avoir dissimulé ta
véritable identité à tes rustauds de villageois.
— Que veux-tu dire ?
Omar Ibn Hafsun sourit
finement :
— Rien n’échappe à mon
attention. C’est à ce prix que j’ai pu rester en vie jusqu’ici, en déjouant
tous les complots tramés contre moi par mes ennemis et par ce maudit Abdallah
qui a juré ma perte. Je me renseigne soigneusement sur ceux qui viennent
s’établir dans mes domaines et je dois dire que tu m’as causé bien du souci.
Oh, je ne regrette pas un seul instant l’argent que j’ai dépensé pour apprendre
la vérité à ton sujet. Il m’a fallu du temps, beaucoup de temps. Mes
informateurs étaient incapables de me ramener des renseignements et seul un
hasard de circonstances m’a permis de parvenir à mes fins. Tu es très habile,
trop habile peut-être, et cela t’a perdu. Quand tu t’es installé dans ton
modeste hameau, j’ai demandé à votre chef, l’évêque de Malaka, qui n’a rien à
me refuser, quelle faute tu avais commise pour mériter pareille punition. Il a
paru surpris. Il ignorait ton existence et il m’a affirmé que ton masjid [91] n’avait pas de desservant régulier. Des prêtres s’y rendaient épisodiquement
pour y célébrer la messe et, surtout, pour extorquer de l’argent aux paysans.
J’ai ordonné à ton évêque de te laisser
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