Abdallah le cruel
humeur. Soudain, le gamin les abandonna. Il
avait envie de rejoindre ses amis qui s’étaient éloignés et se trouvaient déjà
à bonne distance. En courant le long du bassin, il fit un faux pas et tomba
dans l’eau. Il se débattit, cherchant à se rapprocher du bord. Abd al-Rahman
Ibn Ibrahim Ibn Hadjdjadj n’hésita pas un seul instant. Jamais le maire du
palais n’avait connu un homme capable d’avoir des réflexes aussi prompts. Il le
vit se jeter à l’eau et en sortir le gamin qui mit longtemps à retrouver ses
esprits.
Ramené dans ses appartements, le
prince héritier fut examiné par le médecin qui le déclara hors de danger et lui
prescrivit un repos absolu pendant plusieurs jours afin qu’il se remette de sa
frayeur. Le hadjib repartit avec le fils d’Ibrahim Ibn Hadjdjadj, non sans lui
avoir demandé d’observer le mutisme le plus complet sur ce qui s’était passé.
Le lendemain, des gardes vinrent chercher le jeune homme et lui annoncèrent que
l’émir souhaitait le voir sur-le-champ. Quand il s’inclina respectueusement
devant lui, Abdallah l’examina attentivement et, d’une voix faussement
ironique, lui dit :
— C’est donc à toi que je dois
la plus grande frayeur et la plus grande joie de ma vie. Quand Saïd Ibn
Mohammad Ibn al-Salim m’a raconté que mon petit-fils avait failli se noyer, tu
peux imaginer quelle a été ma réaction. J’ai pensé à ce qui se serait passé si
tu n’avais pas été là. C’en était fini de tous les espoirs que je nourris pour
ma dynastie et pour al-Andalous.
— Ton hadjib n’est en rien
responsable de cet incident et je te supplie de ne pas le punir. Tu as été, toi
aussi, un gamin, et je suppose qu’il t’est arrivé de fausser compagnie à tes
serviteurs. Personne ne pouvait imaginer que ton petit-fils ferait un faux pas.
— C’est vrai et c’est pour
cette raison que ce gredin de Saïd a encore sa tête sur ses épaules. En
revanche, tu me poses un problème.
— Sois sans crainte, je n’ai
aucune intention de me vanter de ce geste. J’aurais fait la même chose pour le
fils du plus humble de tes serviteurs.
— Je te crois volontiers. Non,
ce qui me trouble, c’est que je redoute de passer à tes yeux pour un ingrat. Je
devrais te combler de somptueux présents, voire même ordonner sur l’heure ta
libération et ce serait encore insuffisant pour te récompenser comme il se
doit. Malheureusement, si je puis t’offrir tout l’argent que tu exigeras, il
est hors de question pour moi de te renvoyer dans tes foyers. Je connais assez
ton père pour deviner qu’il en profiterait pour rejeter mon autorité et
déclencher une rébellion. La raison d’État m’oblige à te considérer comme étant
toujours mon otage et cela me désespère.
— T’ai-je réclamé quoi que ce
soit ? J’ai beaucoup appris en vivant ici à la cour et je n’envie pas ton
sort, loin de là. Je comprends parfaitement qu’il te soit impossible de me
rendre ma liberté et j’avoue n’y avoir même pas pensé.
— Voilà qui est surprenant de
la part du fils de mon plus vieil adversaire !
— Je ne suis pas impliqué dans
vos querelles. Tu le sais, je ne suis pas venu ici de mon propre gré. Tu m’as
fait enlever. Mon père a cru bon de disposer de ma personne en faisant de moi
un otage. D’une certaine manière, il est aussi responsable que toi de ma
captivité, une captivité bien douce car je n’ai qu’à me féliciter du traitement
qu’on m’a réservé jusqu’ici.
— Je puis t’assurer que ce
n’est rien à côté de celui qui te sera désormais accordé. Tu n’auras qu’à te
louer de ma générosité.
— Je ne demande qu’une seule
faveur.
— Je t’écoute.
— Ton petit-fils m’a beaucoup
fait rire pendant le peu de temps qu’a duré notre entretien. J’ai eu
l’impression qu’il était ravi de voir un nouveau visage et que je lui plaisais.
Quand il sera remis de ses émotions, il éprouvera du remords à l’idée de
t’avoir inquiété. Montre-lui que tu ne lui tiens pas grief de son comportement
en lui offrant un cadeau qu’il appréciera : la présence, à ses côtés, d’un
ami. Autorise-moi à partager son existence et à veiller sur lui.
— Je suis heureux que tu
réagisses ainsi. Il y a plusieurs mois de cela, le hadjib m’avait déjà suggéré
la même chose. Il t’avait observé et avait remarqué que tu n’avais pas cherché
à t’enfuir alors que tu avais tout loisir de
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