Abdallah le cruel
ferait mouvement pour écraser les fuyards. Dans
un vacarme assourdissant, les Tolédans et les Nazaréens chargèrent. L’émir fit
mine de ployer sous le choc. C’est alors que les contingents cordouans
sortirent de leurs caches et se jetèrent sur les arrières des attaquants,
semant la panique dans les rangs. Les têtes et les bras volaient. Les cavaliers
chrétiens, alourdis par leurs armures, étaient jetés à bas de leurs destriers
et égorgés ; les Tolédans qui décidaient de se rendre étaient exécutés
sur-le-champ. Des flots de sang coulaient vers le fleuve qui se teinta de
rouge. Deux mille Asturiens et dix mille rebelles parvinrent toutefois à
s’échapper dans les montagnes environnantes, laissant Tulaitula sans défense.
À la tombée de la nuit, l’émir
parcourut le champ de bataille. Il ordonna d’ériger d’énormes tours avec les
têtes des vaincus, destinées à frapper d’effroi les éventuels récidivistes.
Mieux, pour l’édification des autres Musulmans, il envoya à Tahart [22] et à Kairouan des navires chargés de crânes accompagnés d’une lettre aux
gouverneurs de ces villes pour les informer à la fois de son avènement et de la
grande victoire remportée sur les adversaires du Prophète. L’arrivée en
Ifriqiya [23] de ces sinistres cargaisons fut abondamment commentée et le successeur d’Abd
al-Rahman II y gagna une réputation de défenseur de la vraie foi.
Les habitants de Tulaitula
sollicitèrent son pardon, accordé moyennant l’exécution des notables les plus
compromis, la livraison d’otages et le paiement d’une très lourde amende.
Méfiant, Mohammad renforça la garnison de Kala’t Rabah et la confia à Harith
Ibn Bazi, l’un des meilleurs généraux de son père. Cela n’empêcha pas les
Tolédans de se révolter à nouveau dans les années qui suivirent, mais ils se
gardèrent bien de faire appel aux Chrétiens du Nord et les saifas envoyées
contre leur cité calmèrent leurs ardeurs.
Ayant conforté son autorité,
Mohammad consacra toute son énergie à repousser les attaques des terribles
Urdamniniyum [24] à briser la sédition de ses sujets chrétiens et à mettre au pas le vieux
rebelle, Musa Ibn Musa Ibn Kasi. Depuis leur raid contre Ishbiliyah [25] en 844, les pirates nordiques s’étaient abstenus de réapparaître sur les côtes
d’al-Andalous, surveillées par la flotte stationnée à Kadis [26] . Les voyageurs
racontaient les terribles destructions auxquelles ils se livraient chez les
Francs et dont ils semblaient se contenter. La vigilance s’était relâchée et
les sujets de Mohammad se croyaient à l’abri. C’est dire la panique qui
s’empara d’eux quand ils apprirent la destruction d’al-Djazira al-Khadra [27] par soixante-deux navires normands.
Dès qu’ils aperçurent leurs voiles
multicolores, les habitants et la garnison gagnèrent les montagnes. De loin,
ils purent voir les farouches guerriers blonds incendier la grande mosquée et
les entrepôts puis installer leur camp, où ils firent bombance, dans les ruines
de la cité. À Kurtuba, les devins affirmèrent que cette attaque était un
mauvais présage. Elle frappait le berceau de l’Ishbaniyah [28] musulmane, une ville
à proximité de laquelle Tarik Ibn Zyad avait jadis débarqué ! Soucieux de
rassurer ses sujets, l’émir confia la direction des opérations à Hashim Ibn Abd
al-Aziz. Cet officier ordonna à la flotte de Kadis d’appareiller et de donner
le change en dirigeant une partie de ses navires vers le nord où l’on aurait
signalé une nouvelle escadre normande. Avec ses cavaliers et ses fantassins, il
marcha de nuit, vers al-Djazira al-Khadra. Tenus dans l’ignorance de son
arrivée, les Urdamniniyum continuèrent à piller les environs de la ville quand,
un beau matin, Hashim fonça sur eux à l’improviste. Seuls trente de leurs
navires purent reprendre la mer avec leurs équipages. Les envahisseurs restés à
terre combattirent avec l’énergie du désespoir avant de succomber sous le
nombre. Hashim fit reconstruire la grande mosquée en se servant, pour la
charpente et les portes, du bois des bateaux capturés. Le reste de la flottille
barbare prit la direction du nord, débarqua près de Barcelone, et partit
dévaster Pampelune, capitale des Vascons, dont le roi, Garcia Iniguez, fait
prisonnier, dut payer pour sa libération une énorme rançon.
Euloge, l’évêque de Tulaitula, crut
bon de ternir la réputation d’Hashim Ibn Abd
Weitere Kostenlose Bücher