Abdallah le cruel
me vaut la surprise de ta
visite à pareille heure ?
— Je viens te chercher pour te
mener au trône selon le vœu de tous, car ton père, que sa mémoire soit
bénie ! n’est plus. Que Dieu le tienne en Sa miséricorde ! Voici le
sceau qui fait de toi son successeur.
Mohammad dissimula du mieux qu’il
put le chagrin que lui causait le décès d’Abd al-Rahman auquel il avait
toujours voué une grande affection. En fait, il avait peur, très peur. Sado’un
était au service de Tarub et il n’y avait rien de bon à attendre de ce
personnage perfide, prêt à toutes les bassesses et à toutes les félonies. Il le
soupçonnait de vouloir l’attirer hors de chez lui pour le faire assassiner au
coin d’une ruelle par ses sbires. Aussi préféra-t-il lui rendre le sceau :
— Ô Sado’un, crains Dieu et ne
donne pas libre cours à ton inimitié contre moi jusqu’à faire couler mon
sang ! Laisse-moi ! Je ne veux pas régner. Dieu a fait la terre assez
vaste pour que je puisse aller ailleurs chercher l’oubli et le repos.
L’eunuque dut déployer des trésors
d’éloquence pour convaincre le prince de sa bonne foi. Il lui raconta en détail
la réunion qui s’était tenue dans le salon du Kamil et le vigoureux plaidoyer
qu’Abou L-Moufridj avait prononcé en sa faveur. Enfin, pour dissiper les
derniers doutes de son interlocuteur, il ajouta :
— Sache que c’est moi qui ai
demandé à venir te voir. J’ai sollicité cette faveur de mes compagnons pour une
seule raison. Je reconnais avoir eu beaucoup de torts à ton égard et je me
prosterne à tes pieds afin de te demander humblement pardon de mes fautes. Je
te supplie, noble émir, de calmer dans ton âme le ressentiment qu’a pu te
causer ma conduite.
— Tu n’as aucune crainte à
avoir. Que Dieu te pardonne car, pour moi, je t’ai déjà pardonné. Maintenant,
si tu n’y vois pas d’inconvénient, je vais appeler mon chambellan, Mohammad Ibn
Moussa. Ensemble, nous discuterons de ce qu’il convient de faire.
Sado’un expliqua aux deux hommes le
stratagème qu’il avait mis au point pour regagner le palais. Mohammad Ibn
Moussa le jugea ingénieux, mais émit des réserves :
— Ton plan comporte des
risques. Comment mon maître, même déguisé, parviendra-t-il à passer près des
appartements d’Abdallah alors que ses gardes et ses serviteurs veillent ?
Un traître a pu les prévenir et ils nous massacreront jusqu’au dernier.
— Tous mes compagnons ont juré
sur le saint Coran qu’ils ne diraient rien jusqu’à ton arrivée.
— Que vaut un serment contre la
perspective de recevoir une grosse somme d’argent ?
— Pas quand il est prêté sur le
Livre. Je réponds de mes amis. Cela dit, je comprends tes scrupules et ta
méfiance. Il suffit d’agir comme si rien d’anormal ne s’était passé. Lorsque la
princesse se rend au palais, elle est accompagnée par les soldats de Youssouf
Ibn Basil. Demandons-lui de venir, expliquons-lui la situation et il nous
aidera sûrement.
Or l’officier, par prudence, refusa
son concours en expliquant :
— C’est une affaire dont je ne
dois pas me mêler car, nous autres, nous ne prenons nos ordres que de celui qui
règne à l’Alcazar.
— Mais il est mort, affirma
Sado’un.
— C’est ce que tu prétends.
— Youssouf, rétorqua Mohammad,
tu es un homme loyal et tu respectes la discipline au risque de provoquer ma
colère. Soit. Nous nous passerons de toi. Après tout, celui qui ne risque rien
n’a rien. Montons à cheval et que Dieu nous aide !
Mohammad revêtit une robe de femme
et se voila entièrement la tête. En arrivant devant les appartements d’Abdallah,
il eut un bref moment d’hésitation, puis se ressaisit en marmonnant :
« Puisses-tu tirer profit de ce que tu es en train de faire ; ce que
nous faisons nous sera peut-être profitable. »
Restait à franchir la porte donnant
accès aux appartements de l’émir. Elle était gardée par Ibn Abd al-Salim, un
véritable cerbère. Celui-ci refusa tout net de laisser passer le groupe,
expliquant que la femme voilée ressemblait fort peu à la petite-fille d’Abd
al-Rahman. Il exigea qu’elle se découvre, à la grande fureur de Sado’un :
— Misérable, prétends-tu
attenter à l’honneur d’une princesse dont nul ne doit voir le visage ?
— Je sais qui se dissimule sous
ce déguisement. C’est le prince Mohammad. Or l’émir ne m’a pas fait savoir
qu’il désirait le
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