Abdallah le cruel
cela ? Nous étions à al-Rusafa et j’ai
dit à notre souverain : « Petit-fils des califes, combien agréable
serait la vie si la mort ne nous guidait pas ! » Il m’a rétorqué d’un
ton sec : « Enfant d’Infidèle, tu te trompes lourdement en parlant de
la sorte ! N’occupons-nous pas le trône grâce à la mort ?
Aurions-nous jamais régné si la mort n’existait pas ? » Il s’est
retourné vers toi comme s’il entendait ainsi te donner une leçon. Je constate
avec douleur que tu ne l’as pas comprise.
Mundhir fit un signe au chef des
Muets :
— Qu’on arrête immédiatement
cet homme et qu’on se saisisse de tous les membres de sa famille ! Leurs biens
sont confisqués au profit du Trésor et j’exige que ce misérable passe en
jugement pour haute trahison, car c’est un fait qu’il a toujours comploté
contre moi.
Hashim Ibn Abd al-Aziz n’opposa
aucune résistance. Il fut conduit sous bonne garde dans un cachot où il passa
plusieurs semaines avant d’apprendre – on n’avait pas jugé nécessaire de
le faire comparaître devant des magistrats – qu’il était condamné à mort.
Ses anciens amis poussèrent un soupir de soulagement lorsqu’ils apprirent que les
juges ne l’interrogeraient pas. Ils redoutaient que, n’ayant plus rien à
perdre, leur protecteur ne cherche à les compromettre. C’était mal le
connaître. Il s’était résigné à son sort même s’il tenta, en vain, d’obtenir la
libération de ses enfants. Il était trop au fait des bassesses de l’âme humaine
pour blâmer ceux qui lui devaient pourtant leur fortune et leurs postes. Avant
d’être conduit sur le Rasif où il fut décapité, il demanda à pouvoir écrire une
lettre à sa concubine, Adj, faveur qui lui fut accordée. Il avait dicté au
greffier quelques lignes désabusées que la jeune femme lut en versant
d’abondantes larmes :
Ce qui m’empêche d’aller te voir,
c’est que je suis enfermé dans une prison à la porte solide et garnie de
verrous. Ne sois pas, ô Adj !, surprise de ce qui m’arrive, car les
vicissitudes de ma fortune présente n’ont pas de quoi m’étonner. N’ayant pas
marché droit quand je le pouvais, j’ai rencontré ce que j’aurais dû redouter.
Combien m’ont dit : « Fuis, malheureux, et va vivre en sécurité et
loin de tes ennemis dans quelque autre endroit de la terre ! » Mais
j’ai répondu : « La fuite est un acte vil et mon âme a assez de
culture et de valeur pour dominer l’adversité. J’accepterai les mesures prises
à mon égard. » L’homme, ma chère Adj, peut-il d’ailleurs se soustraire au
décret divin ? Ceux dont j’avais à supporter hier les haineuses injures ou
les basses flatteries s’empresseront de porter leurs lèvres à ma coupe et de
s’y abreuver. Ils te poursuivront, j’en suis désolé, de leur vindicte et te
feront payer cher l’amour que tu me portes. Ne perds pas espoir dans les
épreuves que tu vas traverser. Des jours sombres t’attendent. Toutefois, je
suis persuadé qu’ils ne dureront pas et que tu seras finalement récompensée de
ta loyauté envers moi. C’est ce qui me permet de marcher fièrement à la mort et
d’offrir sans regret ma tête au bourreau. Il m’ôtera la vie, mais les miens
savoureront un jour leur revanche.
Mundhir avait les faveurs des
habitants de Kurtuba. Les rumeurs les plus flatteuses couraient sur son compte.
On le disait aussi pieux que son père, courageux et animé d’un ardent désir de
justice. En fait, il était pour ses sujets un parfait inconnu. Il avait passé
la plus grande partie de sa vie loin de la capitale et seuls ses soldats
savaient à quoi s’en tenir sur son compte. Rares, très rares étaient ceux qui
acceptaient de répondre aux questions qui leur étaient posées. Ils semblaient
avoir peur du nouvel émir sous les ordres duquel ils avaient servi. Ils
n’ignoraient pas qu’il punissait lourdement le moindre manquement à la
discipline. Ainsi, deux de ses officiers avaient été crucifiés pour avoir
capitulé, une fois à court de vivres, et remis les clés des forteresses qu’ils
commandaient aux Chrétiens. Leur général avait payé sans sourciller leur rançon
et, quand ils s’étaient présentés devant lui pour le remercier, avait ordonné
leur exécution sur-le-champ, à titre d’exemple. Un bon Musulman, disait-il,
devait mourir en chahid , en « martyr », plutôt que d’endurer
l’humiliation de la
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