Abdallah le cruel
captivité.
Mundhir n’était guère porté à
l’indulgence. Aussi est-ce avec soulagement que les conseillers de son père
virent qu’il adoptait à leur égard une attitude conciliante. Il les maintint en
fonction alors qu’ils s’étaient refusés, du vivant de Mohammad, à le traiter
avec les honneurs dus à son rang de prince héritier et qu’il avait essuyé de
leur part rebuffades et moqueries. Il ne leur tint pas rigueur contrairement à
ce que lui suggérait al-Razi qui l’avait naguère aidé et qui voulait faire
payer à ces insolents leur impudence passée. L’émir avait refusé. Il ignorait
tout des rouages de l’État et avait besoin de l’expérience de ces ministres et
hauts fonctionnaires qui, assurés de conserver leurs charges, remplirent
celle-ci avec zèle et, pour une fois, franchise.
Ils ne cachèrent pas au nouveau
monarque l’état préoccupant des finances publiques. Les campagnes militaires
contre les Chrétiens et les différents chefs rebelles avaient vidé les caisses
du Trésor. L’activité économique n’était guère florissante. Les longues années
de sécheresse avaient provoqué la mort de plusieurs milliers de personnes et
certains domaines, jadis florissants, n’étaient plus cultivés. On manquait de
main-d’œuvre et les artisans se plaignaient amèrement des exigences de leurs
apprentis et de leurs ouvriers.
Trouver de l’argent était
indispensable. Revenu en grâce, le vieux Walid Ibn Ghanim déconseilla à Mundhir
de lever de nouvelles taxes sur les dhimmis comme l’avait fait Mohammad lors de
son arrivée au pouvoir. Les plus pauvres se convertiraient à l’islam pour
échapper aux agents du fisc et les plus riches se réfugieraient chez les
Chrétiens du Nord ou en Ifrandja où ils seraient accueillis à bras ouverts.
Mieux valait rogner sur les dépenses de la cour, ce à quoi l’émir consentit
volontiers. Habitué à la rude vie du soldat, il méprisait le faste et le luxe.
Scandalisé par le nombre élevé de serviteurs vivant à ses crochets, à l’Alcazar
et à al-Rusafa, il en congédia plusieurs centaines. De même, il interdit
l’achat de nouvelles concubines. Celles de son père lui suffisaient et il les
faisait rarement venir dans ses appartements. Il ne s’était jamais marié et
n’avait pas d’enfant, ce qui ne semblait pas le gêner. Quand le cadi de la
grande mosquée, en usant de mille précautions, l’avait interrogé sur ce point
tout en lui faisant comprendre que la population espérait la naissance d’un
héritier, il avait sèchement répliqué :
— Qui te dit que je souhaite
transmettre à mon fils un trône dont il ne serait peut-être pas digne ?
Les princes de ma maison sont assez nombreux pour que je puisse trouver parmi
eux un successeur quand le moment sera venu. Et je puis t’assurer que cette
échéance est lointaine, très lointaine.
Le dignitaire religieux s’était
empressé de changer de sujet. Il avait toutefois rapporté les propos de Mundhir
à son demi-frère. Abdallah avait pour épouse une femme nommée Durr [60] .
Cette princesse vasconne emmenée en captivité avec son père ne cachait pas les
ambitions qu’elle nourrissait pour Mohammad, le fils qu’elle lui avait donné.
Un arrière-petit-fils de roi ne pouvait qu’être roi à son tour, ce qui
impliquait que le trône revienne à son époux. Elle lui avait donc conseillé de
s’immiscer dans les bonnes grâces de l’émir. Il lui avait obéi, affichant,
contrairement aux autres princes, une attitude soumise et réservée. Il avait
poussé l’habileté jusqu’à refuser de recevoir la rente mensuelle versée aux
parents, proches ou lointains, du monarque, prétextant que sa fortune
personnelle lui permettait de subvenir à ses besoins. Sollicité à longueur de
journées par ses oncles, ses neveux et les enfants de Mohammad, le souverain
avait été très sensible à ce geste et s’était pris d’affection pour son cadet
dont il vantait à qui voulait bien l’entendre la sagesse, les vertus et
l’abnégation.
Abdallah était le seul à pouvoir
entrer librement dans ses appartements, sans solliciter préalablement une
audience, et il ne se privait pas d’user de ce privilège. Il avait un avis sur
tout et se permettait même de rabrouer l’émir quand ce dernier prenait une
décision qu’il jugeait erronée. Cette audace passait pour de la franchise et
Mundhir non seulement la tolérait mais l’encourageait. Pour éprouver
Weitere Kostenlose Bücher