Abdallah le cruel
d’ici.
— C’est très généreux de ta
part.
— Un mort n’a pas à payer pour
les querelles des vivants.
— Sache que je ne serai pas un
ingrat. Je t’assure que tu trouveras toujours auprès de moi un interlocuteur
prêt à satisfaire tes légitimes désirs. Si tu le souhaites, tu pourrais être
l’un de mes généraux. Mon frère te l’avait proposé et je le fais à mon tour.
— Contente-toi de quitter mes
domaines. Je n’ai nul besoin de titres ronflants.
Chapitre IV
La population de Kurtuba s’était
portée en masse au-devant du convoi transportant la dépouille mortelle de
Mundhir. Le jeune homme fut inhumé auprès de son père, alors que montaient vers
le ciel les lamentations de ses sujets. Le petit peuple déplorait sincèrement
la disparition d’un monarque qui n’avait pu donner la pleine mesure de ses
talents. Réunis à l’Alcazar après la cérémonie, les dignitaires prêtèrent
serment d’allégeance au nouvel émir dans un climat empreint de suspicion. La
rumeur publique accusait ouvertement Abdallah d’avoir fait froidement
assassiner son frère. Dans les tavernes et les auberges, les discussions
allaient bon train et dégénéraient parfois en violentes disputes nécessitant
l’intervention des Muets. Le souverain n’ignorait rien de cette situation.
Quelques jours après son avènement, il avait reçu la visite de Walid Ibn Ghanim
et le vieil homme lui avait parlé avec une rude franchise :
— Noble seigneur, je ne pensais
pas devoir de mon vivant te rappeler une certaine promesse.
— Ce n’est pas nécessaire. J’ai
une excellente mémoire et je n’ai pas oublié ce que tu fis jadis pour moi. J’ai
pu mesurer combien tu avais eu raison de racheter secrètement ces maudites
reconnaissances de dettes. Croyant que je n’en savais rien, mes
« créanciers » ont eu l’audace de réclamer leur dû avec l’âpreté que
tu peux imaginer. Ils ont payé cher cette insolence. J’ai tenu parole. Les
enfants de Hashim Ibn Abd al-Aziz ont été libérés et j’ai ordonné qu’on leur
rende leurs domaines.
— Allah le Tout-Puissant t’en
saura gré. Voilà une première injustice réparée !
— Quelles sont les
autres ?
— C’est à ta conscience de le
savoir.
— Oserais-tu…
— Affirmer ce que la rue
murmure, à savoir que Mundhir n’est pas décédé de mort naturelle ? Je
laisse à tes courtisans le soin de prétendre le contraire. Je ne suis pas dupe
de leurs mensonges éhontés qui te nuisent plus qu’ils ne te servent. À quoi bon
cacher la vérité ? Ton frère était hors d’état de gouverner et sa maladie
était une véritable catastrophe pour ce pays. Crois-moi, tu as bien fait
d’abréger ses souffrances et les nôtres. Cela prouve que tu as la trempe d’un
véritable souverain et c’est heureux ainsi.
— Le peuple pense autrement
puisqu’il me considère comme un vulgaire meurtrier.
— Les gens de peu ignorent la
dure réalité du pouvoir. Laisse-les jacasser en paix ! C’est à toi de leur
démontrer, par ta conduite, qu’ils n’ont pas perdu au change.
— Que me conseilles-tu ?
— De régner, un point c’est
tout ! Tu as toutes les qualités requises pour cela. Tu es rusé et
méfiant, tu n’as pas de scrupules et une ambition démesurée dicte chacun de tes
gestes.
— Voilà un portrait peu
flatteur !
— En apparence. Je n’ai pas
mentionné tes nombreuses vertus. Je sais que tu es un bon Musulman : tu
connais le Coran par cœur, tu t’abstiens de consommer les boissons illicites
dont raffolent tes compagnons et tu n’aimes ni le faste ni le luxe. Ce sont là
de précieux atouts qui t’aideront à gagner les faveurs de tes sujets. Il te
suffit de frapper leur imagination et tu verras qu’ils cesseront rapidement de
te calomnier.
— Comment procéder ?
— C’est très simple :
voilà ce que je te propose…
Abdallah n’eut qu’à se féliciter des
suggestions que lui fit, peu avant de mourir, Walid Ibn Ghanim. Il devait
commencer par s’entourer de conseillers d’extraction modeste et totalement
inconnue. Aucun d’entre eux ne devait avoir été mêlé aux intrigues du règne
précédent ou avoir un lien familial, fût-il le plus ténu, avec des dignitaires
de la cour. Redevables à l’émir de leur soudaine élévation et de leur fortune,
ils lui seraient totalement dévoués.
Abdallah désigna ainsi comme chefs
de ses armées deux obscurs officiers, Abd
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