Abdallah le cruel
al-Malik Ibn Umaiya et Ubaid Allah
Ibn Abi Ibn Abda. Alors que les autres gradés, dès l’annonce du décès de
Mundhir, avaient regagné à la hâte la capitale ou leurs domaines, eux seuls,
avec une cinquantaine de leurs hommes, ne s’étaient pas enfuis. C’était sous
leur protection que, assuré de la bienveillante neutralité d’Omar Ibn Hafsun,
Abdallah avait pu quitter Bobastro. Ces militaires n’avaient pas cherché à
tirer profit de ce geste. Ils avaient repris leur service comme si de rien
n’était, sous le regard amusé et méprisant des autres soldats qui, en apprenant
leur promotion, regrettèrent amèrement les lazzis dont ils les avaient
accablés. Ils n’en furent pas sanctionnés pour autant. Leurs nouveaux chefs
étaient conscients du mécontentement profond qui régnait dans le pays et
s’attendaient au déclenchement de multiples soulèvements. Il n’était pas
question pour eux de se priver de militaires de carrière qui avaient eu le seul
tort de se moquer d’eux. Cette modération fut payée de retour. Abd al-Malik Ibn
Umaiya et son adjoint furent aveuglément obéis par leurs hommes, prêts à mourir
pour eux et résolus à châtier quiconque aurait osé les critiquer.
Comme hadjib, Abdallah choisit Abd
al-Rahman Ibn Umaiya Ibn Shuhaid. Ce fils de cordonnier était employé au palais
comme responsable des écuries. Il se montrait particulièrement sourcilleux en
ce qui concernait l’achat des montures et en discutait farouchement le prix
avec les éleveurs. Le nouvel émir avait eu l’occasion d’apprécier ses talents
quand il avait été appelé auprès de son frère. Alors qu’il choisissait comme
cheval un superbe destrier blanc, Abd al-Rahman Ibn Umaiya Ibn Shuhaid l’avait
mis en garde :
— Tu regretteras sous peu ta
décision. Bien sûr, tu auras fière allure en chevauchant cet animal mais il te
fera immanquablement remarquer par l’ennemi. De plus, c’est un cheval de parade
et il n’est pas fait pour parcourir de grandes distances. Je te propose de
prendre plutôt cette jument grise. Elle ne paie pas de mine, mais mon neveu,
Saïd Ibn Mohammad Ibn al-Salim, l’a dressée et m’a vanté ses qualités. Je me
fie à son jugement et je te conseille respectueusement d’en faire de même.
— J’ai aussi besoin de mulets
et d’animaux de trait pour mes chariots. Je réquisitionne tous ceux qui sont
ici.
— Je n’ai pas encore eu le
temps de les examiner. Leur vendeur est un muwallad de Tulaitula et il exige un
tel prix que je n’ai aucune confiance en lui. Fort heureusement, je dispose
d’autres bêtes qui paissent actuellement près d’al-Rusafa. Elles seront là
demain.
Abdallah s’était souvenu d’Umaiya
Ibn Shuhaid et avait interrogé plusieurs courtisans de son frère à son propos.
Nul ne le connaissait et ses interlocuteurs ne lui avaient pas caché que leur
rang leur interdisait de fréquenter un vulgaire domestique. Leurs réponses
l’avaient satisfait. Celui qu’il surnommait « mon palefrenier
préféré » était le plus indiqué pour occuper la fonction de maire du
palais. Il en connaissait les arcanes et, ayant pu observer de près les
malversations des dignitaires, il saurait y mettre un terme.
Walid Ibn Ghanim avait fait à
Abdallah une autre suggestion qui lui valut une grande popularité : celle
de recevoir, une fois par semaine, personnellement, les doléances de ses
sujets. Ce serait le meilleur moyen de prendre le pouls de la population et de
prévenir toute agitation. Bien entendu, il était hors de question de laisser
n’importe qui s’approcher du souverain. Un conspirateur aurait pu se glisser
parmi les solliciteurs et attenter à la vie du monarque. Le nouveau hadjib
trouva la solution : il fit ouvrir dans l’enceinte de la grande mosquée
une porte bientôt appelée « porte de la Justice ». Par une fenêtre
grillagée, les habitants pouvaient remettre à l’émir un placet et lui expliquer
brièvement les motifs de leurs requêtes. Chaque vendredi, à l’issue de la
prière, Abdallah passait plusieurs heures près de cette porte. Quelques jours
ou quelques semaines plus tard, l’intéressé était informé de l’échec ou du
succès de sa démarche. Plusieurs familles dans le besoin reçurent ainsi des
secours en argent ou en vivres. D’autres, qui s’étaient plaints de n’avoir pas
de travail, se virent offrir des postes dans l’administration ou furent
employés dans les fermes appartenant au
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