Abdallah le cruel
sans trop y croire. Se croyant assez fort pour
châtier Sawwar, il se mit en campagne dès les premiers beaux jours, convaincu
que son adversaire n’avait pas eu vent de ses préparatifs de départ. Rusé,
celui-ci se garda bien de le détromper. Pendant la journée, le gouverneur
pouvait apercevoir les villageois arabes vaquer à leurs occupations
habituelles. Certains de leurs dignitaires venaient même à la rencontre de sa
colonne pour lui prêter allégeance. Ils le remerciaient de s’être enfin décidé à
les délivrer du joug du clan Sukala qu’ils maudissaient en usant de vieilles
formules d’insultes particulièrement pittoresques. Djad rêvait d’une victoire
éclatante sur le rebelle qui lui vaudrait comme suprême récompense d’être
appelé auprès de l’émir pour faire partie de ses conseillers. De la sorte, il
pourrait accroître sa fortune et marier ses filles dans les meilleures familles
de la cour. Il ne pouvait l’avouer à ses subordonnés, mais il s’ennuyait à
périr dans cette province et ne supportait plus de devoir faire bon accueil aux
chefs des différentes communautés.
Peu à peu, sa vigilance s’assoupit.
Il se sentait en pays conquis et, à plusieurs reprises, omit d’envoyer des
éclaireurs reconnaître les villages qu’il aurait à traverser. Un soir, épuisé
par la chaleur qui l’avait accablé durant la journée, il établit son camp au
bord d’une rivière surplombée par des collines boisées. La nuit était douce et
étoilée. Les hommes étaient exténués par plusieurs semaines de marche. Pour les
ménager, les officiers négligèrent de faire dresser autour du campement une
palissade de rondins rudimentaire. Ravis de l’aubaine, les soldats allumèrent
de grands feux et se regroupèrent autour pour chanter et danser. Les
sentinelles, lassées de veiller en vain, désertèrent leurs postes et
rejoignirent leurs compagnons, prenant soin toutefois de ne pas se faire
remarquer de leurs supérieurs. Quand la fête se termina, tous s’endormirent
d’un sommeil pesant.
Au petit matin, Sawwar, qui se
tenait en embuscade derrière les arbres, lança son armée à l’assaut. Ses hommes
avaient pour consigne de s’emparer vivant du wali et d’épargner les soldats qui
accepteraient de se rendre et de rejoindre les rangs des rebelles. La manœuvre
réussit. Djad Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi fut surpris encore endormi.
Humiliation suprême, il vit ses soldats jeter leurs armes et fraterniser avec
les assaillants, leur affirmant qu’il leur répugnait de combattre d’autres
Arabes pour le compte des muwalladun.
La nouvelle de ce désastre se
répandit vite et le chef victorieux fut rejoint par les Arabes de Djayyan et de
Malaka, soucieux d’avoir leur part du butin dans les futurs pillages. Affolé,
Ibrahim Ibn Galindo se rendit à Kurtuba pour solliciter des secours. Il comprit
qu’obtenir une audience de l’émir n’était pas chose facile, même quand il
s’agissait d’une affaire d’État. Il fallait déjà parvenir jusqu’au maire du
palais, Abd al-Rahman Ibn Umaiya Ibn Shuhaid, un homme très occupé. Par chance,
un parent d’Ibrahim connaissait le chambellan du hadjib qui lui fit vite
comprendre qu’une bourse remplie de pièces d’argent était le moyen le plus sûr
d’être introduit au palais. Le muwallad se montra généreux et son
« ami » n’hésita pas à déranger son maître. Il osa même prétendre
qu’ayant entendu, par un greffier, qu’un messager était arrivé, porteur de
nouvelles très graves de Granata, il avait pris sur lui d’interroger ledit
messager et de bousculer l’ordre prévu des audiences de la journée. Ibrahim
admira le procédé et prit conscience qu’il lui restait beaucoup à apprendre
pour obtenir les faveurs des puissants. Il fit un compte rendu fidèle du
désastre militaire subi par le gouverneur et des attaques auxquelles Sawwar se
livrait contre les bourgades et les villages.
Le hadjib le conduisit chez l’émir.
D’une voix tremblant de peur, il répéta ses dires et l’émir le remercia pour sa
loyauté en lui faisant présent d’une tunique d’apparat brodée à son nom. Resté
seul avec le maire du palais, Abdallah ne cacha pas qu’il était peu pressé
d’intervenir. Les caisses du Trésor étaient vides et il n’avait pas les moyens
de lever une nouvelle armée. Instituer une taxe supplémentaire n’aurait
qu’accentué le mécontentement de la populace qui avait récemment pris
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