Abdallah le cruel
al-Rahman I er ,
et non à Ilbira, l’ancienne Illiberis des Chrétiens. À côté se trouve Granata [69] peuplée d’une majorité de Juifs à tel point que nous l’appelons Granata des
Juifs.
— Te plaindrais-tu aussi
d’eux ?
— Non, ces pourceaux sont trop
lâches et ils ont la sagesse de rester à leur place. Ils savent qu’ils nous
doivent la vie et la liberté. De plus, je n’oublie pas qu’ils viennent comme
nous d’Orient et que nous avons un ancêtre commun, Ibrahim [70] . Ils paient les
impôts auxquels ils sont soumis et n’ont pas l’impudence de se prétendre nos
égaux.
— Ils ne sont pas les seuls.
Les Nazaréens le font aussi.
— Oui, mais à ceux-là, tu
accordes, tout comme aux Arabes, des baradjila [71] . Ils ont le
droit de porter des armes et d’élever des forteresses alors que plusieurs de
nos frères kaisites doivent s’enrôler comme simples soldats. Est-ce là la juste
récompense que leur vaut la pureté de leur lignage ?
— Ces Chrétiens sont de loyaux
serviteurs de l’émir. Ils ne se livrent à aucun pillage ni à aucune
destruction.
— Sur ce point, wali, je veux
bien te donner raison. À tout bien le prendre, je les préfère à leurs
semblables qui feignent d’être de bons Musulmans. Ils te couvrent de présents
et tu ajoutes foi à leurs racontars. À chaque fois qu’un litige les oppose à
l’un de mes frères, tu tranches en leur faveur. Voilà pourquoi nous jugeons
préférable de rendre justice nous-mêmes à notre manière.
— En tuant ceux qui s’opposent
à vos vols.
— Et que fais-tu de toutes ces
familles arabes dont les domaines ont été saccagés et qui ont pour seul refuge
al-Hamra, la forteresse rouge [72] de Granata ? Tes soldats les ont-ils aidées une seule fois à récupérer
leurs biens ?
— La garnison dont je dispose
est malheureusement trop faible et mes soldats n’ont pas reçu leur solde depuis
des mois. Il est encore heureux qu’ils n’aient pas déserté.
— Fais appel à mes
troupes !
— Ce serait aller contre les
ordres de l’émir.
— Je vois. Abdallah ne vaut
guère mieux que Mundhir. Gouverneur, je t’aurais en tous les cas prévenu. Si tu
ne donnes pas satisfaction à mes requêtes légitimes, tu pourrais avoir à le
regretter.
— Je n’aime pas les menaces,
Yahya.
— Ce ne sont pas des menaces,
tout au plus un conseil amical. Tu es un Arabe comme moi et je tenais à te
rappeler tes devoirs.
Djad Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi,
sitôt cet entretien terminé, écrivit une longue lettre au général Abd al-Malik
Ibn Abdallah Ibn Umaiya pour l’avertir de la situation et pour lui demander,
sans grand espoir, l’envoi de renforts. Il prenait très au sérieux les propos
de Yahya Ibn Sukala, qui ne parlait jamais en vain. Il décida donc de le mettre
hors d’état de nuire. Ses espions l’avertirent que cet écervelé était parti à
Granata pour rendre visite aux Arabes réfugiés dans la citadelle. Il avait sans
doute l’intention de passer plusieurs jours dans cette ville et le gouverneur
soupçonna qu’il chercherait sûrement à négocier un emprunt auprès des Juifs
pour payer ses hommes. Cela lui laissait du temps pour préparer sa riposte. Le
wali convoqua les principaux dignitaires muwalladun et leur rapporta son
entretien avec Yahya Ibn Sukala. L’un des présents, Ibrahim Ibn Galindo, lui
demanda :
— Serais-tu heureux d’être
débarrassé de ce trublion ?
— Tu me connais, je suis un
homme de paix et je n’aime pas les soucis.
— Je ferai en sorte de te les
épargner.
Ibrahim Ibn Galindo tint parole. À
l’issue de son séjour à Granata, Yahya Ibn Sukala regagnait ses domaines,
escorté par un petit détachement de cavaliers, quand il tomba dans une
embuscade tendue par un fort parti de muwalladun. En dépit de sa vaillance, il
succomba sous le nombre. L’un de ses neveux, Sawwar Ibn Hamdoun Ibn Sukala, que
tous appelaient simplement Sawwar, lui succéda et jura de le venger. Il attaqua
les domaines et les villages peuplés de muwalladun et massacra leurs habitants,
du nourrisson jusqu’au vieillard. En quelques semaines, un véritable vent de
panique souffla sur la province. Les réfugiés affluaient par centaines et
tiraient des larmes de compassion à ceux qui écoutaient le récit de leurs
malheurs.
C’est à ce moment que survint un
événement inattendu. À sa grande surprise, le wali reçut de Kurtuba les
renforts qu’il avait demandés
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