Abdallah le cruel
à partie
plusieurs agents du fisc.
Se souvenant qu’un proche de son frère,
le marchand persan Mohammad al-Razi, s’était installé à Granata, il chargea ce
dernier de négocier une trêve avec Sawwar et de s’enquérir de ses exigences. Le
chef rebelle reçut l’émissaire de l’émir et discuta avec lui pendant de longues
journées. Il savourait son triomphe et voulait montrer à ses hommes qu’il
défendait sévèrement leurs intérêts face à un interlocuteur peu conciliant. Le
Persan s’amusa beaucoup car, en guise de pourparlers, Sawwar lui avait demandé
de lui apprendre à jouer aux échecs, un jeu introduit en al-Andalous par
Zyriab, le « Merle de Bagdad [73] »
et qui était l’amusement préféré des personnes de distinction. Mohammad al-Razi
lui donna donc les leçons qu’il souhaitait. Il crut indispensable, à la fin, de
perdre quelques parties et de s’extasier sur l’habileté de son élève, flatté de
ces compliments peu mérités.
Les exigences de Sawwar étaient
modérées. Pour prix de sa soumission, il réclamait, outre des lettres de pardon
de l’émir, plusieurs domaines appartenant à des riches muwalladun qu’il avait
fait exécuter, eux et leurs familles, et qui auraient dû revenir au Trésor
public. Désormais, en cas de litige entre un Arabe et un muwallad, le jugement
serait rendu par trois magistrats dont deux seraient arabes. Si le plaignant
arabe, par un extraordinaire concours de circonstances, n’obtenait pas
satisfaction, il pourrait faire appel de la décision auprès du souverain et, si
ce dernier confirmait le verdict, il se verrait accorder des facilités pour
s’acquitter du montant de l’amende à laquelle il aurait été condamné. Comme ces
différends portaient le plus souvent sur des sommes d’argent empruntées par des
Arabes à des muwalladun, les premiers étaient assurés de ne pas avoir à
rembourser leurs dettes avant de longues années. Quant aux muwalladun, Mohammad
al-Razi leur fit savoir qu’ils bénéficieraient d’exemptions fiscales jusqu’à
l’extinction de la créance. Chacun y trouvant finalement son compte, la paix
fut rétablie grâce à cette sordide tractation.
Informé du résultat des pourparlers,
Abdallah donna son accord à une seule condition. Soucieux d’éprouver la loyauté
de Sawwar, il exigea que celui-ci mène une expédition contre Omar Ibn Hafsun et
ses vassaux. Ayant pu éprouver l’ingéniosité du rebelle muwallad, il espérait
secrètement qu’il le débarrasserait de Sawwar et le libérerait de ses
engagements. Dans le même temps, il fit savoir aux convertis de Granata qu’une
fois le successeur de Yahya Ibn Sukala parti en campagne, ils pourraient
prendre leur revanche sur ses partisans.
Ce stratagème diabolique faillit
bien réussir. Sawwar, qui détenait toujours en otage le wali, avait laissé les
familles de ses soldats à l’abri du château fort al-Hamra, sous la protection
d’une garnison de trois cents hommes triés sur le volet. Dès qu’il eut gagné les
environs de Bobastro, les muwalladun se lancèrent à l’assaut de la forteresse
rouge ; cependant, les occupants repoussèrent leurs attaques, infligeant à
l’ennemi des pertes considérables. Averti du danger que couraient les siens,
Sawwar fit demi-tour avec plusieurs milliers d’hommes. Avec une partie de ses
troupes, il parvint à entrer de nuit dans la forteresse par un tunnel secret.
Nul ne savait où ce passage se trouvait. Ne disposant pas de machines de siège,
les muwalladun se contentèrent d’encercler Granata et d’intercepter les convois
de ravitaillement destinés aux assiégés. Ils cherchaient à démoraliser ceux-ci
par tous les moyens. Un archer envoya ainsi, accroché à sa flèche, un poème
moqueur :
Leurs bourgades sont désertées,
leurs champs sont en friche, les vents orageux y font tourbillonner le sable.
Enfermés dans al-Hamra, ils méditent à présent de nouveaux crimes. Mais, là
aussi, ils auront à subir des défaites continuelles, de même que leurs pères
étaient toujours en butte à nos épées et à nos lances.
Furieux, Sawwar, qui ne pouvait
paraître sur le chemin de ronde pour insulter ses adversaires, demanda à
al-Asadi, son poète préféré, de rédiger une réponse. Tenaillé par la faim, le
malheureux n’avait guère d’imagination et peina longuement. De guerre lasse, il
finit par paraphraser les vers de l’ennemi :
Nos bourgades sont habitées,
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