Abdallah le cruel
terres dans la région de Djayyan. Dieu s’est montré généreux
envers moi et mes terres produisent de bonnes récoltes. Je suis venu ici pour
les vendre. On m’a dit qu’une sécheresse avait frappé l’Ifriqiya et je pense
que je pourrais en tirer un bon prix. J’ai voulu auparavant me renseigner car
mon père a jadis été ruiné par des aigrefins. Il leur avait vendu de grosses
quantités de blé. Malheureusement, ses chariots ont été attaqués par des
brigands et il a dû rembourser l’argent qu’il avait touché. Ce n’est que plus
tard qu’il a appris que les voleurs avaient agi en fait pour les acheteurs de
sa récolte.
— Pareille chose, mon ami,
n’arriverait pas ici. Les négociants sont étroitement surveillés et doivent
s’engager à respecter scrupuleusement nos règlements. Si l’un d’entre eux est
condamné pour fraude, il n’a plus le droit d’exercer sa profession dans la
localité. Quant à tes convois, tu n’auras pas à t’inquiéter. Ils seront
escortés par des gardes en qui nous avons toute confiance.
— Cela suppose que les
entrepôts soient étroitement surveillés.
— À quoi bon ? Ici, un
voyageur peut laisser ses marchandises en pleine rue et vaquer à ses
occupations. Il peut même s’absenter plusieurs jours, avec la certitude de les
retrouver à son retour.
— Il n’y a pas de voleurs chez
vous ? s’étonna Sawwar.
— Il y en a eu mais il n’y en a
plus.
— Comment avez-vous fait ?
— C’est très simple : non
seulement ils étaient condamnés à mort, mais tous les membres de leurs
familles, des enfants aux vieillards, étaient vendus comme esclaves. Un homme
peut risquer sa vie pour une somme d’argent ou un objet. S’il sait que sa mère,
sa femme ou son fils seront également punis, il y réfléchit à deux fois…
Sawwar poussa jusqu’à al-Mariya.
Situé dans une baie, le port était protégé des tempêtes. Plusieurs dizaines de
navires se trouvaient à quai, attendant d’être déchargés par des portefaix qui
s’affairaient du matin au soir. Le village comptait peu de maisons, les
habitants ayant préféré s’installer dans des grottes taillées dans la montagne.
L’été, il y régnait une fraîcheur bien agréable ; l’hiver, aucun bateau
n’accostant, ils regagnaient Badjdjana ou les villages environnants et
s’occupaient de leurs troupeaux.
De retour dans son fief, Sawwar
prépara minutieusement l’attaque de la cité marchande. Un matin, on lui annonça
que trois hommes demandaient à le rencontrer. Quand il s’enquit de leur identité,
son esclave lui dit :
— L’un d’entre eux m’a chargé
de ce message que j’ai peine à comprendre : « Te souviens-tu de ton
étonnement devant la statue ? »
— Fais-les entrer.
Sawwar reconnut sans mal le passant
qui avait répondu à ses questions. Il s’agissait d’un aristocrate berbère, Saïd
Ibn Aswad, venu avec son fils Khashkhash Ibn Saïd Ibn Aswad et son neveu,
Mohammad Ibn Omar.
— Que me vaut le plaisir de ta
visite et comment as-tu retrouvé ma trace ?
— Noble seigneur, qui n’a pas
entendu parler de tes exploits ? Lors de ton passage dans notre cité, tu
m’as affirmé que tu étais paysan. Je suis d’un naturel soupçonneux et j’ai
observé tes mains. Elles étaient trop fines pour avoir jamais travaillé la
terre. De plus, tu t’exprimais avec soin, usant d’expressions qu’un fermier
n’aurait jamais employées. Je t’ai fait suivre discrètement et dès que j’ai su
qui tu étais, j’ai prévenu notre chef, Abd al-Razak Ibn Isa. Nous savons que tu
te prépares à nous attaquer et j’ai une proposition à te faire.
— J’ai eu grand tort de me
prêter à un jeu qui n’a pas trompé ta perspicacité. Je comprends mieux
maintenant pourquoi les négociants peuvent laisser leurs marchandises dans vos
rues sans crainte d’être volés. Rien n’échappe à votre surveillance. Ton fils
et ton neveu sont-ils de la même trempe que toi ?
— Je l’espère. Mon aîné a voulu
à tout prix te rencontrer car il t’admire.
— S’il le souhaite, qu’il reste
ici. Je ferai de lui un excellent guerrier.
Le jeune homme s’inclina
respectueusement, flatté d’une telle proposition. Son père poursuivit :
— Ta proposition l’a touché.
Hélas, il nourrit d’autres ambitions.
— Lesquelles ?
— À force de fréquenter les
marins, il a perdu la tête. Il croit tout ce que racontent ces vieux loups
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