Abdallah le cruel
plus souvent
d’obéir à leurs officiers et ne constituaient pas à proprement parler une armée
mais plutôt un assemblage hétéroclite de bandes rivales qui n’hésitaient pas à
se battre entre elles. Il suffisait qu’un milicien, pris de boisson, se
querelle avec un autre pour que la rixe dégénère en violents affrontements.
Quand les coupables se présentaient devant le chef rebelle, ils s’empêtraient
dans des explications confuses. Si Omar Ibn Hafsun avait le malheur de donner
raison à l’un plutôt qu’à l’autre, les mécontents désertaient immédiatement et
tentaient d’obtenir le pardon des autorités, au besoin en les renseignant sur
les déplacements de leurs anciens compagnons.
Le seigneur de Bobastro, compte tenu
de la piètre qualité de beaucoup de ses recrues, préférait mener quelques raids
audacieux et se terrait le reste du temps dans les châteaux qu’il avait fait
construire dans des sites difficiles d’accès. Cette fois-ci, sa prudence
légendaire fut prise en défaut. Des espions à la solde de Sawwar, se faisant
passer pour des déserteurs, lui affirmèrent que le général kaisite avait quitté
Granata en confiant la cité à un jeune homme inexpérimenté, un vulgaire poète.
La ville, lui dirent-ils, regorgeait de richesses car les commerçants juifs
avaient reçu de nombreuses marchandises d’Orient et attendaient de pouvoir les
expédier à Kurtuba. Victime de sa cupidité, Omar Ibn Hafsun partit
immédiatement à la tête de mille cavaliers pour s’emparer de tous ces trésors.
Sawwar avait posté ses troupes en embuscade dans une forêt proche de Granata et
attaqua l’ennemi à l’improviste. Le chef muwallad s’échappa à grand-peine de ce
traquenard et regagna son repaire de Bobastro, laissant à l’un de ses adjoints,
Hafs Ibn al-Marra, le soin de lancer une opération de diversion contre Djayyan.
Sawwar rongeait désormais son frein.
L’émir Abdallah, lui, battait froid. Il s’était bien gardé de le féliciter pour
avoir, à deux reprises, sauvé de la destruction Granata et continuait à exiger
la libération de l’ancien wali Djad Ibn Abd al-Ghafir al-Khalidi, toujours
retenu en otage. N’osant pas rompre avec Kurtuba, le neveu de Yahya Ibn Sukala
levait consciencieusement les taxes et les impôts que les agents du fisc
venaient chercher. Ces maudits fonctionnaires exerçaient un contrôle tatillon
et laissaient au gouverneur de la province des sommes dérisoires, insuffisantes
pour lui permettre de payer les soldats, les cadis, les foqahas et les employés
qui, tous, réclamaient leur dû. Quand une épidémie de peste s’abattit sur la
région, faisant des centaines de victimes, Sawwar dut emprunter aux négociants
juifs de grosses sommes d’argent pour distribuer des secours aux familles
privées de ressources par la disparition de leur chef ou pour acheter les
vivres dont la population avait besoin. Ce terrible fléau avait fait d’énormes
ravages dans les campagnes et, faute de main-d’œuvre, les récoltes avaient
pourri sur pied, entraînant une terrible disette.
À court d’argent, Sawwar écouta les
conseils peu avisés d’al-Asadi. Ce poète lui suggéra d’attaquer la riche
bourgade de Badjdjana [74] et le port voisin d’al-Mariya fondé par des marins andalous de Ténès. C’était
par là que transitaient toutes les marchandises en provenance d’Ifriqiya et
d’Orient. Déguisé en paysan, Sawwar se rendit à Badjdjana et fut stupéfait par
ce qu’il vit. La cité, entourée de solides murailles, était administrée par un
chef berbère, Abd al-Razak Ibn Isa, désigné par le collège des marchands et des
pêcheurs, arabes, Berbères, muwalladun et Juifs vivaient en bonne entente dans
cette localité. Une statue de la Vierge avait été placée dans une niche
au-dessus de la porte principale. Quand il interrogea un passant à propos de
cette idole, celui-ci rit de bon cœur :
— Il y a la même statue
au-dessus de la porte du Pont à Kurtuba et nul n’a jamais cherché à y redire.
Les Nazaréens contribuent à la prospérité de cet endroit et nous respectons
leurs croyances tout comme ils respectent les nôtres. Mohammad, sur Lui la
bénédiction et la paix !, considérait Jésus comme un prophète et honorait
sa mère sans croire à tous les racontars des Chrétiens sur elle. Pourquoi
agirions-nous autrement ? À ta question, je devine que tu n’es pas d’ici.
— Je suis un paysan et
j’exploite des
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