Abdallah le cruel
accordées par l’émir à ses fils et à ses innombrables
oncles, neveux et cousins, tous descendants d’Abd al-Rahman I er .
C’était une tâche difficile et délicate. Ces princes menaient un train de vie
particulièrement dispendieux et se trouvaient souvent à court d’argent. Ils
exigeaient alors que le Trésor subvienne à leurs besoins et paie leurs dettes.
Mousa était leur interlocuteur et quand le monarque, sous un prétexte ou un
autre, refusait de les aider, il devait essuyer leurs reproches et leur colère.
Cela avait été le cas trois jours auparavant alors que le maire du palais se
trouvait à Ishbiliyah. Or, Mohammad, le fils aîné d’Abdallah, avait besoin de
mille pièces d’or pour acheter un lot d’esclaves éthiopiens mis en vente par un
négociant de Kairouan et avait sollicité du fonctionnaire une avance sur sa
rente mensuelle. Mousa avait bien tenté de lui expliquer qu’il ne pouvait lui
remettre l’argent sur-le-champ car il lui fallait obtenir l’approbation du
hadjib, le prince héritier n’avait rien voulu entendre et s’était emporté. Il
avait besoin de cet argent, car le vendeur était assailli de solliciteurs
désireux d’acquérir des serviteurs réputés pour leur endurance et pour leur
obéissance. Il avait grossièrement interpellé Mousa :
— Tu parles au wallad [75] , celui qui sera un jour ton maître.
— Permets-moi, sans te manquer
de respect, de souhaiter que ce soit le plus tard possible. Ton père est dans
la force de l’âge et a encore beaucoup d’années à vivre.
— Ne me fais pas dire ce que je
ne veux pas dire. Qu’Allah le Tout-Puissant et le Miséricordieux accorde une
longue vie à l’émir ! Je le souhaite plus que toi car il est mon père
bien-aimé. Je me suis mal exprimé. J’ai simplement voulu te faire comprendre
que je saurai, le temps venu, te remercier si tu me rends le service que je te
demande.
— Tu es connu pour être un
homme de parole et tout autre que moi se réjouirait de bénéficier de tes
bienfaits. Tu seras un jour effectivement mon maître. À ce moment-là, que
dirais-tu si j’accorde à ton fils, sans ton autorisation, la faveur qu’il
sollicite ? Tu n’as qu’à parler au marchand. Entre le prince héritier et
les autres acheteurs, il saura, s’il est intelligent, qui il a le plus intérêt
à ménager. Il peut t’accorder un délai.
— C’est un être rapace et
cupide. Il se décidera en faveur du plus offrant. Voilà pourquoi il me faut cet
argent immédiatement.
— Je suis désolé de te le
refuser.
— Tu n’es qu’un fonctionnaire
borné et, sous peu, tu entendras parler de moi.
Le prince héritier s’était sans
doute plaint au hadjib et avait exigé qu’on sanctionne celui qui avait osé lui
tenir tête. Mousa passa une très mauvaise nuit et se rendit le matin à
l’Alcazar, convaincu qu’il coucherait le soir en prison. Les gardes le
conduisirent jusqu’au hadjib, Abd al-Rahman Ibn Umaiya Ibn Shuhaid. Celui-ci
l’examina attentivement avant de s’exclamer :
— C’est donc toi l’homme qui
refuse de satisfaire les caprices d’un prince !
— Oui et je te supplie de me
pardonner. J’ai cru bien faire en appliquant les consignes que tu as édictées.
Tu étais malheureusement absent et je n’ai pu te demander une audience pour
savoir s’il était convenable de faire une exception pour l’héritier du trône.
Il a beaucoup de qualités et les serviteurs du palais louent généralement sa
générosité et sa bienveillance. Quant à sa mère, la princesse Durr, elle est unanimement
respectée. Petite-fille de roi, elle a connu l’épreuve de la captivité et a
fait preuve d’une constance d’âme remarquable. Alors que nul ne l’y obligeait,
elle s’est convertie à notre religion et secourt aujourd’hui les pauvres qui
font appel à son bon cœur. Je regrette sincèrement d’avoir été contraint de me
montrer inflexible. Une exception en entraîne une autre et j’aurais été
assailli de quémandeurs. Je le déplore car, jusque-là, j’avais eu d’excellents
rapports avec le prince Mohammad et celui-ci n’est pas connu pour gaspiller sa
fortune.
— Pourtant, tu avais dans tes
coffres assez d’argent pour lui accorder un prêt. Je me suis renseigné sur toi
et j’ai appris des choses étonnantes. Tu agis parfois de ta propre initiative.
Mousa Ibn al-Aziz Ibn al-Thalaba
blêmit. Le maire du palais avait découvert son système et il entreprit
Weitere Kostenlose Bücher