Abdallah le cruel
regagner
Ampurias.
Badjdjana célébra comme il se devait
sa délivrance. Des prières furent dites dans les mosquées, les églises et la
synagogue. Les commerçants se cotisèrent pour offrir à Abd al-Razak Ibn Isa et
à son principal conseiller, Saïd Ibn Aswad, de somptueux présents. Son fils ne
fut pas oublié. Lors des négociations avec Saunier, Khashkhash Ibn Saïd Ibn
Aswad avait persuadé ce dernier de ne pas piller les navires qui se trouvaient
dans le port : il avait prétendu que nul n’avait le droit de s’en
approcher, car leurs équipages étaient atteints d’une fièvre maligne qui avait
déjà fait plusieurs victimes. Effectivement, le comte Chrétien put voir des
marins jeter à la mer les corps de deux matelots décédés, en réalité, de mort
naturelle. Il se garda bien d’attaquer lesdits bateaux qui renfermaient à leur
bord d’importantes cargaisons de soie et d’épices. Pour le remercier de sa
bienveillance, les capitaines offrirent au Berbère l’un des navires et le jeune
homme put réaliser son rêve. Avec quelques compagnons de son âge et un équipage
composé de vauriens, il cingla vers l’ouest à la recherche des terres
lointaines où d’audacieux navigateurs avaient jadis abordé. Jusqu’à sa mort,
son père attendit en vain son retour.
Sawwar ne tint pas rigueur à Saïd
Ibn Suleiman Ibn Djoudi de son échec. Au fond de lui-même, il savait qu’il
avait trahi la parole donnée à Abd al-Razak Ibn Isa et se félicita que ce
dernier ait feint d’ignorer sa félonie et continuait à lui verser le tribut
promis. Il consacra toute son énergie à combattre Omar Ibn Hafsun. En vain. Le
rebelle lui échappait constamment. Fou de rage, Sawwar rassembla tous les
hommes dont il disposait et se dirigea vers Bobastro. Dans l’étroit défilé qui
menait à la forteresse, il tomba dans une embuscade et périt les armes à la
main. Saïd Ibn Suleiman Ibn Djoudi, lui, fut fait prisonnier et traité avec les
honneurs dus à son rang. Omar Ibn Hafsun avait entendu parler de ses talents de
poète et prenait plaisir à l’entendre réciter ses vers. Il l’autorisa même à
communiquer avec les siens. Saïd envoya à ses parents, qui vivaient à Kurtuba,
une lettre qui les émut aux larmes :
Du courage, de l’espoir, mes
amis ! Soyez sûrs que la joie succédera à la tristesse et qu’en échangeant
l’infortune contre le bonheur, je sortirai d’ici !
D’autres que moi ont passé des
années au cachot, lesquels courent les champs, à cette heure, au grand soleil
du jour.
Hélas, si nous sommes
prisonniers, ce n’est pas que nous nous soyons rendus, mais c’est que nous nous
sommes laissé surprendre.
Si j’avais eu le moindre
pressentiment de ce qui allait nous arriver, la pointe de ma lance m’aurait
protégé.
Car les cavaliers connaissent ma
bravoure et mon audace à l’heure du péril.
Et toi, voyageur, va porter mon
salut à mon noble père et à ma tendre mère, qui t’écouteront avec transport dès
que tu leur auras dit que tu m’as vu.
Salue aussi mon épouse chérie et
rapporte-lui ces paroles :
« Toujours je penserai à
toi, même au jour du jugement dernier.
Je me présenterai alors devant
mon Créateur, le cœur rempli de ton image.
Certes, la tristesse que tu
éprouves maintenant m’afflige bien plus que la prison ou la perspective de la
mort. »
Peut-être va-t-on me faire périr
ici, et puis on m’enterrera…
Un brave tel que moi aime bien
mieux tomber avec gloire sur le champ de bataille et servir de pâture aux
vautours.
La lettre de Saïd Ibn Suleiman Ibn
Djoudi circula largement à Kurtuba. Nombreux furent ceux qui plaignirent
l’infortuné et reprochèrent à l’émir de n’avoir pas porté secours à Sawwar et à
son second, les seuls à avoir osé combattre Omar Ibn Hafsun. Abdallah n’avait
cure de ces critiques. Il avait bien d’autres soucis.
Chapitre V
Mousa Ibn al-Aziz Ibn al-Thalaba
avait craint le pire quand un officier s’était présenté chez lui un soir, lui
ordonnant de se rendre le lendemain, dès la première heure, au palais où le
hadjib souhaitait l’entretenir d’une question importante. Il avait réfréné sa
nature impulsive, se gardant de répondre à ce messager qu’il prenait toujours
très tôt ses fonctions à la chancellerie et que, jusque-là, ses supérieurs
n’avaient jamais eu à lui reprocher le moindre retard. Depuis dix ans, il avait
en charge la gestion des pensions
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