Abdallah le cruel
détruits par
les raids audacieux des Urdamniniyum, n’avaient toujours pas été reconstruits.
Ils étaient laissés à l’abandon et des herbes folles grimpaient sur les rares
murs calcinés toujours en place. Quelques hordes de miséreux avaient édifié des
huttes de branchages et leurs enfants couraient nus dans les flaques de boue et
d’eau stagnante, gardant, d’un œil distrait, chèvres et moutons. Le nouveau
wali promit de s’occuper le plus vite possible de cette zone insalubre. Il y
ferait construire des casernes, des entrepôts, un marché ainsi que des mosquées
et des bains publics. Il se reprit aussitôt. Chrétiens et Juifs auraient aussi
le droit d’y vivre et de disposer de lieux de culte. De la sorte, toutes les
communautés se côtoieraient au quotidien et parviendraient peut-être à
entretenir des relations amicales.
Car, à Ishbiliyah, le gouverneur
s’en rendit compte immédiatement, la concorde était loin de régner. Chose
surprenante : on dénombrait un chiffre appréciable de partisans de feu
l’émir Mundhir. Durant plusieurs mois, le bruit avait en effet couru dans la
région que le fils de Mohammad n’était pas mort en assiégeant Bobastro.
Ressemblant étrangement à l’ancien monarque, un homme avait prétendu avoir
découvert les desseins criminels d’Abdallah et s’être enfui à temps avec
quelques serviteurs. Son traître de frère aurait transporté jusqu’à Kurtuba le
cadavre d’un soldat anonyme ramassé sur le champ de bataille ; pour
preuve, il s’était bien gardé de laisser quiconque s’approcher pour contempler,
une dernière fois, le visage de l’émir enveloppé dans un linceul. Le prétendu
Mundhir avait réuni une troupe de partisans et occupé plusieurs châteaux forts.
Seule attitude suspecte, il avait refusé de recevoir ses anciens conseillers
envoyés de Kurtuba par le hadjib. Finalement, l’un d’entre eux avait pu
pénétrer dans son repaire déguisé en paysan, et démasquer l’imposteur ; il
avait reconnu au son de sa voix un vulgaire aventurier que le défunt prince
utilisait parfois pour faire rire à leurs dépens des courtisans trop flatteurs
et obséquieux. L’homme fut tué dans son sommeil et ses fidèles, penauds,
regagnèrent leurs villages, tremblant à l’idée qu’une enquête puisse être menée
sur leurs agissements.
Les habitants d’Ishbiliyah s’étaient
beaucoup amusés de cette mascarade sans d’ailleurs prendre parti pour ou contre
ce charlatan qui avait pour recrues de simples paysans illettrés. Les citadins
avaient d’autres sujets de querelles, plus importants. Le wali fut surpris de
constater qu’Arabes, Berbères, muwalladun, Chrétiens et Juifs résidaient pour
la plupart dans des quartiers distincts sans y être astreints par la loi. Les
dhimmis vivaient en bordure du fleuve où ils avaient leurs échoppes, leurs
entrepôts et leurs modestes lieux de culte. Ils s’acquittaient scrupuleusement
du montant de leurs impôts et ne faisaient guère parler d’eux. L’évêque de la
ville, Galindo, était un homme sage et pieux qui encourageait ses fidèles à
obéir aux lois et à s’abstenir de toute provocation envers les Musulmans. Il
avait ramené à la raison quelques jeunes écervelés qui s’étaient réunis pour
évoquer le souvenir d’Euloge et des Martyrs de Kurtuba. Il leur avait rappelé
que différents conciles avaient condamné les agissements des disciples de Paul
Alvar et qu’il n’hésiterait pas à excommunier les fauteurs de troubles. Si le
joug des Ismaélites leur paraissait insupportable, ils n’avaient qu’à partir
pour les royaumes Chrétiens du Nord où ils n’étaient pas assurés d’être bien
accueillis. Ils ne parlaient que l’arabe, s’habillaient comme leurs maîtres et,
issus d’excellentes familles, s’habitueraient difficilement à l’existence
austère que menaient leurs frères asturiens, galiciens ou vascons. Les rares à
avoir tenté l’expérience revinrent d’ailleurs, quelques mois plus tard, plutôt
dépités et honteux.
Les Juifs étaient au nombre de deux
mille et exerçaient les métiers les plus divers. Certains étaient négociants,
d’autres tailleurs, orfèvres, cordonniers ou simples portefaix. Aux premiers
temps de la conquête, Mousa Ibn Nosayr leur avait confié la garde de la cité et
ils prenaient plaisir à rappeler cet événement, symbole de leur loyauté. Ils
disposaient de trois petites synagogues et de plusieurs oratoires
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