Adieu Cayenne
Recife.
Puis elle me met en liberté.
J’étais, maintenant, fougueusement défendu
par… la police. Que dites-vous des fantaisies de
l’existence ?
Sur ce coup-là, l’ambassade de France au
Brésil demande mon extradition.
La préfecture de Rio transmet l’ordre à celle
de Para. Voilà Para forcé de me remettre en prison.
Elle m’y conduit, vous vous souvenez, après
m’avoir serré la main.
J’arpente ma cellule. Je languis. Je ne sais
rien à cette époque de ce que je vous raconte. Mes compagnons
chantent. Ils chantent jusqu’à neuf heures du soir, et même plus
tard, la voix soutenue par des guitares et des mandolines. Cela me
renverse davantage encore. Je ne comprends rien à cette prison où
l’on me fait entrer, sortir, rentrer, où les autres s’amusent comme
à une noce, où les gardiens m’appellent monsieur ! Tous les
quarts d’heure j’entends : « Sentinella,
alerta ! » La sentinelle répond : « Alerta
eston ! » Là-dessus, un petit air de guitare. C’est du
roman d’aventures !
Le 7 juillet au matin, la porte de ma cellule
s’ouvre poliment. Un monsieur bien habillé se présente. Il a son
chapeau à la main et me tend sa carte. Je la prends :
LUIZ ZIGNAGO
Commissaire de police.
– Monsieur Dieudonné, me dit-il, M. le
ministre de la Justice vous demande à Rio de Janeiro. Il veut vous
voir. Le préfet de police m’a désigné pour vous accompagner. C’est
un bien beau voyage, et j’en suis tout heureux. Connaissez-vous
Rio ? Quelle merveille ! Nous serons deux bons
compagnons. Je suis certain que nous ne nous ennuierons pas sur le
bateau, ni aux escales. Nous embarquons ce soir sur
l’
Itabera
. Vous serez passager libre, bien entendu, libre
comme moi. Savez-vous jouer au bridge ? Avec le commandant et
le docteur, nous ferions une table.
– Le ministre de la Justice veut me voir,
moi ?
– Il le veut, monsieur Dieudonné.
Eh bien ! monsieur Londres, cette fois, –
écoutez-moi avec toute votre attention, – je m’assis sur mon lit et
je crus perdre l’entendement…
Chapitre 18 UN FAMEUX VOYAGE
Il est six heures, le soir du même jour. Je
crois bien que, dans ma cellule, je cours encore après mon
entendement !
Un gardien ouvre la cage. Il me fait signe de
prendre mon chapeau, de m’épousseter le mieux que je peux, de
m’embellir, quoi !
Il me manque tout pour reluire. Il le
comprend. Je le vois partir dans le couloir et revenir portant deux
brosses, l’une à habits, l’autre à souliers. J’astique mes cuirs,
je me bichonne. Je suis prêt.
Allons, dis-je ! Et l’on me conduit à la
direction.
M. Luiz Zignago m’y attend.
À côté de lui, au port d’armes, le plus
magnifique agent de l’État de Para. Il est jeune, grand et beau.
Son uniforme est neuf. On ne voit pas de plus bel homme montant la
garde à la porte de l’Élysée ! M. Zignago me le
présente : « L’agent 29 ».
Les portes de la prison s’ouvrent devant nous
trois. Nous sortons.
– L’
Itabera
ne part qu’à onze heures
du soir, dit le commissaire. Je suis venu vous chercher
avant ; comme cela, nous pourrons prendre l’apéritif, dîner à
l’hôtel et gagner le port en fumant un bon cigare.
Je dis : « Merci, monsieur le
commissaire ! » Que vouliez-vous que je dise ?
Et nous nous arrêtons place de la République,
au café da Paz.
– Connaissez-vous un homme heureux ? me
demande M. Luiz.
–Je vous remercie, fis-je en souriant, je
serais difficile si je me plaignais.
– Il ne s’agit pas de vous. L’homme heureux,
c’est l’agent 29. Regardez-le !
Il jubilait.
C’était la récompense de cinq années de bons
services. Dans son quartier, on ne voyait jamais traîner les boîtes
à ordures. Il n’y avait ni chiens errants, ni batailles. Quant aux
dames de nuit, joli garçon comme il était, il les menait d’un seul
clin d’œil. Cela le désigna au choix.
Il n’était jamais sorti de Para ; alors,
accomplir un voyage de treize jours, visiter Pernambuco, Bahia,
voir Rio, il n’en dormait plus ! Il vivait l’un des plus beaux
moments de son existence.
Soudain, sous le coup du bonheur, l’agent 29
cherche ma main et me la secoue avec une reconnaissance que je
n’oublierai jamais !
On trinque, puis on boit. Et l’on va
dîner.
* * *
Nous voici à table. Un curieux défilé
commence.
Les gens qui entrent, M. Luiz les connaît. Ce
sont des commissaires de police, des agents de la sûreté, des
guardas
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