Adieu Cayenne
Et
j’eus comme un soulagement.
À l’atelier, le lendemain, rien de changé. Ma
propriétaire m’appelle toujours M. Daniel. Aucun chien ne lève le
nez pour me regarder. Une semaine passe. Rien.
Une autre, puis d’autres.
Le 14 juin, à onze heures, je sors de mon
atelier. Il fait très chaud. Je prends, comme chaque jour, le
chemin de mon restaurant l’Estrella da Serra ! J’ai très soif.
J’entre dans la pension. Je me verse un verre d’eau. Je le buvais,
debout, lorsque quatre hommes, assis à la table voisine, se
dressent. Ils m’entourent. Je reste le verre aux lèvres. C’était
quatre
investigadores
de la police.
– Suivez-nous !
Chapitre 16 D’ÉTONNEMENT EN ÉTONNEMENT
Ma chambre à Rio de Janeiro, est vaste ;
cela permet à Dieudonné de se promener à grands pas.
– En français, encore ! Ces quatre-là
n’avaient dû apprendre le français que pour venir un jour derrière
moi et me dire : « Suivez-nous ! »
Peut-être étaient-ce les deux seuls mots
qu’ils connaissaient.
Alors quoi ? (Dieudonné s’emballe. Ce
souvenir-là ne lui vaut rien). J’entendrai toujours ce
« Suivez-nous » ? Je posai mon verre. Je les
regardai en face, l’un après l’autre, et je dis :
« Voilà, emmenez-moi ».
On sortit. Ils ne m’avaient pas mis les
menottes.
À peine à cent pas du lieu, Jean-Marie, qui
allait déjeuner, aperçoit le groupe. Il reste pile sur le
trottoir.
Voilà le magasin de nouveautés où j’ai acheté
à tempérament le costume que je porte. Je dois encore vingt milreis
dessus. Comment le paierai-je ? Je ne gagnerai plus rien. On
va pouvoir dire que je suis un escroc. Jean-Marie me suit. Il
m’accompagne à distance. Il est fou ! Il doit bien se douter
où l’on me conduit.
Voici la prison ! Les investigadores
n’ont pas besoin de me guider. Je ne l’ai jamais vue, mais je la
reconnais ! C’est une écurie que l’on m’a appris à sentir de
loin. J’y entre le premier. J’attends à deux portes. On les
ouvre : je les franchis. Et je constate que le bruit d’une
porte de prison qui se referme est le même dans tous les
pays !
On me met dans une cellule. J’ai retrouvé mon
domicile attitré. J’étais en voyage depuis plus de six mois. Et je
suis rentré chez moi. Voilà !
Quel mal ai-je fait ?
Je travaillais neuf heures par jour. J’étais
couché à dix heures. Le dimanche, j’apprenais le portugais.
Je saisis les barreaux de ma cage et je restai
là regardant dans le couloir.
C’était l’heure où je me rendais à l’atelier.
Que va dire le patron, qui voulait faire de moi son
contremaître ? Je dois six jours de chambre à ma logeuse.
Pauvre Michel Daniel, on ne veut pas que ta tête remonte sur
l’eau !
Une porte grince. Des pas résonnent. Que
vois-je ? Jean-Marie, entre deux gardiens !
Je tourne comme une bête dans ma cellule.
Une heure passe. Elle passe mal !
Un surveillant ouvre ma cage et,
gracieusement, me fait signe de le suivre. On me conduit à la
direction de la prison. Un monsieur est là, jeune. Il
dit :
– Je suis Antonello Nello, deuxième préfet de
police.
Il me fait asseoir.
– Vous êtes Michel Daniel ?
– Je suis Eugène Dieudonné, évadé de la Guyane
française…
– Je vous remercie de n’avoir pas voulu me
tromper.
Sur son bureau, une collection de journaux
français du temps du procès, le livre de Victor Méric : Les
Bandits tragiques, puis un dossier.
– Depuis longtemps, Dieudonné, je connais
votre cas. Nous policiers, nous nous intéressons aux grands procès
internationaux.
– Je vivais honnêtement de mon travail ;
pourquoi m’avoir arrêté ?
Il sourit et lève un doigt comme pour
dire : « Je vous dirai cela plus tard ». Il me lit
un procès-verbal que je dois signer, m’expliquant en français les
termes que je comprends mal. La pièce est simplement pour me faire
déclarer que je suis bien Eugène Dieudonné, l’évadé. Il demande
doucement si je veux signer : je signe.
– On vient d’arrêter l’un de mes amis.
Pourriez-vous me mettre dans la même cellule que lui, monsieur le
Préfet ?
– Avec grand plaisir, répond-il. Il se lève et
me serre la main ! Cette politesse, cette main tendue, je
n’avais jamais rien vu de plus renversant au cours de ma vie de
prisonnier.
Je demeurai interdit.
Et l’on me conduisit dans la cellule de
Jean-Marie. Il n’était pas seul ; un troisième évadé était
là : Paul Vial. Je leur
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