Aesculapius
et labeur acharné, je deviendrai presque aussi intelligent que vous.
Le compliment fit à peine sourire Druon tant son esprit était occupé.
— Nous allons faire bien plus simple que cela.
— Ah oui ?
— Le registre.
— Le registre ?
— Celui sur lequel sont consignées les confessions et les pénitences distribuées. Vite, habillons-nous !
Tous deux se vêtirent à la hâte et Druon fonça vers la porte pour se souvenir qu’elle était verrouillée et qu’il ne pouvait prévenir personne.
Ils cognèrent tels des possédés contre le battant, s’époumonèrent pour appeler à l’aide, en vain.
La rage de l’impuissance fit place à l’abattement et, vaincus, ils s’assirent sur leurs lits. Miracle insolent de l’enfance, Huguelin vacilla vite et se rendormit, tassé comme un petit animal fourbu. Druon, lui, s’efforça au calme. Les heures s’écoulèrent avec une désespérante lenteur. Il passa en revue ses connaissances scientifiques. Un moyen sûr de ne pas repenser au reste, au supplice de son père, à sa vie d’avant, lorsque tout paraissait si parfait qu’on se berçait du trompeur sentiment que rien de grave ne pourrait jamais survenir.
Enfin, le bruit de la clef qui tournait dans la serrure. Druon se rua vers la porte en criant :
— Ouvrez, mais ouvrez vite. Buses !
Léon, voûté, apparut et cria en retour :
— Que se passe-t-il, à la fin ?
— Avec votre stupide manie de nous enfermer… Nous avons perdu des heures précieuses ! Vite ! Faites seller les chevaux. À l’église de Saint-Ouen-en-Pail.
LII
Saint-Ouen-en-Pail, août 1306, le lendemain
I ls pénétrèrent peu après dans la petite église de Saint-Ouen-en-Pail, située au bout de la rue principale. Modeste, de pierres montées, la bâtisse n’avait rien d’exceptionnel. Une fontaine où venaient se fournir les gens des environs glougloutait contre l’un des pans. Le visage émietté de la statue de saint Ouen avait été déposé sur l’autel. Léon se signa et regarda Druon de biais pour voir s’il l’imitait. Celui-ci déclara :
— Il s’agit juste d’une statue peinte que l’on a brisée pour insuffler la peur.
— N’auriez-vous jamais peur ? rétorqua le géant d’un ton vexé.
— Si fait. Toutefois, nous formons admirable équipe. Vous redoutez les choses surnaturelles, je ne crains que les hommes.
— Dieu ne vous inquiète pas ? s’étonna Léon.
— Non, puisque, à moins de me tromper gravement, je suis en parfait accord avec Lui. Nous cherchons le registre des confessions.
— Il sera plutôt rangé dans la petite pièce attenante, suggéra le géant en désignant une porte basse située en diagonale d’eux.
— Elle semble fermée, remarqua Druon en s’approchant.
— Écartez-vous. Une porte ne nous arrêtera pas !
Il arracha le panneau de ses gonds d’un violent coup d’épaule. Druon remarqua aussitôt une almaire 1 de vilain bois, elle aussi verrouillée. Son sort ne fut pas plus enviable que celui de la porte, et un coup de pied de l’homme de confiance de la baronne fendit l’un de ses vantaux de haut en bas. Druon découvrit vite ce qu’il cherchait : un épais volume relié de cuir sombre. Y étaient consignés les naissances, les baptêmes, les décès, les mariages, sans oublier les confessions.
Il partit de la dernière écriture et remonta dans le temps, revivant les derniers jours du père Henri. Son doigt s’arrêta sur une ligne : « Léon, dit de Lièges, belle constance dans son repentir. A offert un petit-royal* 2 pour l’entretien de l’église. Quinze rosaires. » Léon ne pouvant voir ce qu’il lisait, Druon s’efforça à l’impavidité. Qu’avait donc commis Léon pour se montrer si généreux ? Il remonta encore, lisant avec soin les comptes rendus scrupuleux du père Henri.
Enfin, il sut qu’il avait trouvé :
« Géraud Paillet. Mon Dieu, je ne sais que faire ! Vingt deniers tournois* 3 , dix neuvaines, deux mois de soins aux malades, et pourtant, les mérite-t-il ? Je crois que la pénitence l’apaise un peu. Que faire, que faire ! »
Une sévère punition. Pourquoi ne l’aurait-il pas méritée ?
Druon leva la tête et demanda d’un ton d’urgence :
— Paillet. Géraud Paillet, ça vous dit quelque chose ?
— C’est le fils du maître fèvre, Nicol Paillet. Très bonne réputation. Un gars un peu rude mais qui en a derrière le front. Il fait partie du conseil du
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