Aesculapius
diriger, se contentant de rester bien calé en selle et d’éviter les branches basses.
Druon jeta un regard autour de lui. Belle ferme en vérité. Tout y sentait l’opulence. Maître Paillet avait connu jolie réussite dans les affaires.
Les deux compagnons de guerre ressortirent, dépités. La baronne lui cria :
— Pas âme qui vive ! Je n’aime pas l’odeur que prend tout ceci !
Druon tendit le bras, désignant la porte entrouverte d’une grange à angle droit du bâtiment des maîtres.
Suivie de Léon, elle s’y précipita. Le géant en ressortit presque aussitôt, hurlant à l’adresse du mire :
— Vite, il n’est pas tout à fait mort !
Druon fonça. Ce qu’il découvrit le figea net. Un jeune homme pendait à une poutre, un haut escabeau renversé sous lui. Béatrice d’Antigny lui avait enserré les jambes et le soulevait de toute sa force. Léon déplaçait une échelle de meunier afin d’atteindre la corde pour la couper.
La Baronne rouge faillit s’affaler sous le poids de Géraud Paillet lorsque Léon vint enfin à bout du nœud coulant. Elle cria :
— Mire ! Faites un miracle, à l’instant !
Druon s’agenouilla à côté du jeune homme au visage bleui de cyanose et au souffle imperceptible. Que faire, mon Dieu ? Il était notoire que le cœur cessait ses battements au trépas. Si donc le cœur 2 ne s’arrêtait pas, on pouvait espérer que le sujet survive. Improvisant, le mire ferma le poing et asséna de grands coups violents dans la poitrine de Géraud, sous l’œil sidéré des deux autres. Puis lui fila des gifles à assommer un âne, suppliant en lui-même : « Vis, mais vis ! » Soudain, un râle déchirant terminé par une quinte de toux se fit entendre. Géraud revenait d’entre les morts.
Druon le bascula sur le flanc et tous patientèrent, ne sachant trop que tenter, surveillant la respiration laborieuse du presque trépassé. Un bruit étrange alerta alors Druon. Léon se pencha et déclara dans un murmure stupéfait :
— Il… pleure.
De fait, les larmes de Géraud se transformèrent en sanglots. Il se souleva sur le coude et hoqueta :
— Vous n’auriez pas dû… me sauver. Je ne le mérite pas. Le père Henri est mort par ma faute ! À cause de ma confession. Il est venu discuter avec mon père qui lui a menti, lui a juré repentance et mortifications. Je savais… Je savais qu’il n’en était rien. Cette verrue purulente cherchait juste à gagner du temps…
Il s’étouffa dans ses sanglots, se mouchant dans sa manche. Il inspira profondément, son souffle produisant un raclement pénible, et poursuivit :
— Le père Henri s’en est retourné heureux, avec ses pieds nus et son crucifix d’argent. Je savais… je savais qu’il allait le tuer. Il ne pouvait risquer qu’il parle lorsque les horribles meurtres recommenceraient. Parce qu’il n’a aucune intention d’arrêter. Il aime ça. M’entendez ! cria-t-il. Il aime massacrer, torturer, violer, tuer.
— Géraud, apaisez-vous. Vous n’êtes pas responsable des actes impardonnables de votre père, tenta de le raisonner Druon.
— Si ! hurla l’autre, la salive lui dégoulinant vers le menton. Êtes-vous sourd ou crétin ? Je me doutais qu’il allait le rejoindre sur le chemin du retour pour le mettre en pièces, et je n’ai pas bougé ! Je suis resté assis là, à prier.
Les larmes le rattrapèrent. Il bafouilla :
— Il me terrorise. Il a tué ma mère devant moi, j’avais neuf ans. Une boucherie. Elle courait en tous sens, suppliant, criant. J’ai tenté de m’interposer, de la défendre. Il m’a assommé. Lorsque je suis revenu à moi, elle gisait au sol, non loin de la cheminée de la salle. Mon Dieu, quelle vision d’horreur ! Il lui avait arraché le visage, le cou et les seins. Attablé, il buvait un gobelet de vin en sifflotant et m’a contraint… à… Il m’a forcé à…
Géraud ferma les yeux comme s’il s’interdisait de revivre la scène. Druon le poussa avec douceur :
— À quoi ? À nettoyer, à l’enterrer ?
Un hochement de tête lui répondit. Léon laissa échapper une injure de soldat et la baronne poussa un soupir de fin du monde.
— Il a dit qu’il m’arriverait la même chose si je parlais. J’ai vécu dans une peur abjecte. Toute ma vie. Mais j’ignorais ce qu’il faisait au loin, lors de ses prétendus voyages de négoce. Jusqu’à ce qu’il invente la créature, qu’il ramène ces chiens
Weitere Kostenlose Bücher