Aesculapius
village. Il a eu une sale histoire.
— Vraiment ?
— Sa femme l’a quitté pour un vendeur ambulant. Volatilisée, du jour au lendemain. Il faut dire qu’elle était gironde et qu’elle devait s’ennuyer dans cette ferme du trou du cul du monde…
Léon s’interrompit, fronçant les sourcils.
— Oui ? insista Druon.
— Justement, c’est plein sud du village. En direction de Saint-Julien-des-Églantiers. La route empruntée par… (Soudain, il comprit.) Qu’êtes-vous en train d’insinuer ?
— Insinuer ? Ce n’est pas le terme que j’utiliserais. La créature est à la baronne, avez-vous dit. Il conviendrait de la prévenir au plus vite. Le dernier nœud se noue. Je demeure céans. L’idée d’une autre galopade jusqu’au château ne me sied guère. J’ai patienté toute la nuit pour votre bon vouloir, rappela Druon d’un ton de reproche.
Une surprise dont il se serait passé l’attendait lorsque Béatrice et Léon pilèrent devant l’église : la baronne avait prévu un destrier pour lui, qui devait remplacer la bonne et paisible Brise afin d’aller plus vite. Une écume d’effort maculait la bouche des chevaux, et le jeune mire se fit la réflexion qu’ils devaient filer fort vite. Jamais il n’avait monté de cheval nerveux, fougueux, requérant un excellent cavalier. L’ordre intimé par la baronne ne lui donna guère le loisir de s’appesantir sur ses qualités équestres.
— En selle, messire !
Elle avait revêtu le costume de chasse qu’elle portait la première fois qu’il l’avait vue. Le gipon lacé et le caleçon ajusté de cuir qui terminait dans les hauts houseaux mettaient en valeur son corps ferme et musclé. L’aigle Morgane ne l’accompagnant pas, il comprit qu’il s’agissait pour elle d’un combat d’homme à homme.
— Entendons-nous bien : il est à moi et je le veux vivant. Je l’exécuterai moi-même, par décapitation à la hache, après que le bourreau aura fait son office. Je veux avoir son sang honni sur les mains et je veux que tous voient à quoi se résume leur terreur. Plus tard. Allons.
Son étalon hennit sous la pression de ses cuisses et fonça droit devant.
1 - Armoire.
2 - Il s’agissait d’une somme assez importante.
3 - Une somme importante.
LIII
Ferme Paillet, environs de Saint-Ouen-en-Pail,
août 1306, ce même jour
L orsqu’ils parvinrent aux abords de la ferme Paillet, l’endroit, en dépit de son allure cossue et presque coquette, avait l’air terriblement désert. Trois larges bâtiments en U délimitaient une vaste cour au centre de laquelle se montait un puits. Quelques poules et canards, qui semblaient presque gênés d’être là, picoraient sans conviction.
Druon remarqua que toutes les fenêtres de la partie réservée aux maîtres étaient vitrées, que la maçonnerie avait été rectifiée peu avant et qu’aucuns détritus ou immondices n’achevaient – comme ailleurs – de pourrir dans un coin de la vaste cour carrée, dallée de pavés. Toutefois, les trois longues bâtisses sécrétaient une étrange impression, une impression d’abandon poli et soigneux. Aucune truie, ses gorets suspendus aux mamelles, pas de tas de fumier, pas de valets débraillés, pas de gamins sales et morveux jouant au palet, ou aux voûtes 1 . Rien. N’eût été la présence des volatiles, on eût pu croire qu’un sortilège avait été jeté, que le temps s’était figé.
— Hèle, ordonna Béatrice d’Antigny à Léon.
Le géant s’exécuta et rugit à assourdir :
— Holà, au service ! Quelqu’un ? Maître Paillet ?
Les volailles s’affolèrent, se massant en panique à l’autre bout de la cour.
Puis, le silence. Un parfait et très étonnant silence leur répondit.
— Pas normal, remarqua Léon en résumant le sentiment de tous.
Il beugla à nouveau, sans résultat.
Béatrice d’Antigny démonta d’un saut léger et tira son épée. Elle avança sans hésitation vers l’entrée principale de la partie des maîtres et ouvrit la porte d’un coup de pied. Léon se précipita à sa suite, arme au clair, lui aussi. Druon flatta l’encolure de son destrier et, peu rassuré, se laissa glisser le long de son flanc. Il avait eu un peu peur durant leur chevauchée, sa monture filant trois fois plus vite que la tendre Brise au mieux de sa forme. Cependant, le cheval avait compris quel piètre cavalier il portait et suivait les deux autres. Le mire avait à peine eu à le
Weitere Kostenlose Bücher