Aesculapius
larmoya :
— Ils vont me…
— Certes. Le sort réservé aux enherbeurs est le pire de tous.
Joliet tomba à genoux en sanglotant, couvrant sa tête de ses mains tachées d’encre. Il gémit :
— Je ne veux pas… je ne veux pas… pour l’amour de Dieu, aidez-moi !
— Pour l’amour de Dieu ? Êtes-vous bien sérieux, monsieur ? En revanche, j’accepte de vous proposer un marché. Votre unique chance est que j’exècre la torture. Or ce sont des jours et des jours d’intolérables souffrances qui vous attendent. Vous êtes jeune et vif. Malheureusement, vous y résisterez jusqu’à ce que l’on décide de votre trépas, de votre ultime soulagement. Vous n’imaginez pas à quel point un corps peut souffrir.
— Oui, oui… quel marché, de grâce…
— Messire Léon va nous rejoindre dans quelques minutes, et il sera trop tard pour vous. Ne tergiversez pas. Je veux connaître le nom de votre commanditaire, à l’instant. En échange, je vous accorderai, sous ma surveillance, un moment pour… régler votre fin grâce à votre provision d’arsenic. Elle ne sera pas douce. Cependant, elle sera beaucoup plus rapide que les tourments qui vous attendent.
Joliet, le visage trempé de larmes, le fixa. Il ferma les yeux et joignit les mains en prière en murmurant :
— Pourquoi a-t-il fallu que vous arriviez… J’y serais parvenu… Je serais riche, plutôt que de mener cette existence de cloporte au service d’incultes qui possèdent dans leurs bibliothèques tout le génie de l’homme dont ils se contre-moquent. Savez-vous que je ne l’ai jamais vue une seule fois céans… sauf afin de vérifier mes classements. Jamais elle ne m’a demandé un ouvrage. La baronne. Quant à l’autre idiote, grasse comme une oie gavée, elle prétend lire afin de m’agacer les oreilles de ses sempiternelles geignardises. J’aurais pu…
— Hâtez-vous, monsieur. Le temps nous fait défaut pour des justifications qui ne me convaincront pas. Quoi, la baronne préfère la chasse et l’administration de ses terres à la lecture, et elle devrait mourir ? Dès que messire Léon aura posé le pied dans cette pièce, je ne pourrai plus rien. Qui vous a, ou allait, vous rétribuer ?
Joliet n’eut qu’une seconde d’hésitation.
— Le baron Herbert d’Antigny.
— Ainsi que je le pensais, donc. Procédez… au reste, monsieur. Vite.
Évrard Joliet, le visage hagard, se précipita vers l’autre bout de la salle et tira l’échelle contre une bibliothèque. Il y grimpa à la hâte et récupéra un épais volume.
Trois coups violents assénés sur la porte. Léon pénétra, un air de meurtre sur le visage. Joliet jeta un regard de panique à Druon et ouvrit le livre. Un nuage d’une fine poudre grisâtre en voleta. Il en avala deux pleines poignées, la poudre lui faisant comme un masque sur le bas des joues et les lèvres. Léon se jeta vers l’échelle en vociférant une bordée d’injures. Il la secoua jusqu’à faire choir le bibliothécaire, qu’il saisit à la gorge en hurlant :
— Je vais te crever, monstre ! Je vais t’étriper ! Je vais te faire bouffer tes couilles après les avoir découpées.
— Inutile, messire Léon, jeta Druon d’une voix calme et ferme. Il va rendre l’âme dans quelques très longues heures, si longues qu’il aura moult temps de regretter son acte.
Furieux, Léon le menaça de son poing en éructant :
— C’est vous qui lui avez permis d’échapper à l’ire de la baronne et à la mienne !
— À l’évidence, par compassion. Nul ne me convaincra jamais qu’il s’agit d’une faute. Quel dédommagement auriez-vous obtenu à le torturer des jours durant ? Aucun. D’autant qu’il s’agissait d’un marché et que j’ai obtenu ainsi la confirmation de ce que je supputais. Le nom de son commanditaire.
— Qui est ce scélérat ?
— Je pense, messire Léon, avec votre respect, que notre seigneur mérite la primeur de cette information.
Ne sachant comment, ou sur quoi ou qui passer sa rage, sa peur aussi tant l’état de Béatrice l’angoissait, Léon se rua vers l’escalier, hurlant tel un forcené :
— Gardes, Grinchu, aux ordres, à l’instant !
Une cavalcade de déments n’aurait pas produit autant de vacarme. Trois hommes d’armes, épée au clair, déboulèrent dans la bibliothèque.
Désignant Évrard Joliet tassé au sol, sans réaction, attendant sa fin prochaine, il ordonna d’un ton
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