Aesculapius
il entreprit de ranger leurs maigres effets. Il passa ensuite au grand sac d’épaule de Druon. Lorsqu’il en délaça l’ouverture, une odeur lourde et métallique l’étonna. Il vida avec précaution le contenu du bagage. La stupéfaction le cloua lorsqu’il comprit la portée de sa découverte, et la raison de l’extrême pudeur du mire lorsqu’il procédait à ses ablutions ou se dévêtait. Rouge de confusion, soudain paniqué à la perspective d’être surpris, il replaça à la hâte les épaisses bandes de lin souillées de sang que le… la mire n’avait eu ni l’occasion de laver ni de jeter avec discrétion depuis leur involontaire arrivée au château, entassant le reste par-dessus. Il fonça ensuite s’asseoir sur la paillasse, épiant le silence.
Une question tournait dans sa tête : pouvait-il, devait-il, rester avec son… sa nouvelle maîtresse, s’ils sortaient vivants des griffes de la Baronne rouge ? Sa cohabitation avec la douce gent, laquelle se résumait à la grosse truie en chaleur de l’auberge, lui avait laissé un pénible souvenir. D’un autre côté, Druon l’avait toujours traité à la manière d’un garçonnet et d’un élève, insistant sur son vœu d’abstinence. Druon l’avait aussi sauvé des serres de l’aigle et avait partagé son pain pour le nourrir. En outre, le mire obéissait contre son gré à la terrible Béatrice d’Antigny, uniquement pour le protéger. Et puis, personne ne voulait de lui, sauf pour le réduire à nouveau en esclavage.
À cette pensée, les yeux du garçonnet s’emplirent de larmes. Il se souvint de la question posée à la miresse 5 , une éternité plus tôt, semblait-il : « Qu’avait-il fait pour mériter les misères et avanies qui pouvaient décrire sa courte vie ? » À bien y réfléchir, rien. Le conseil que lui serinait chaque jour Druon lui revint en mémoire : observe, analyse, compare et déduis. Il fournit un effort pour juguler son chagrin. Toutes comparaisons et observations faites, il n’était pas mort. Il était même bien vif et, pour l’instant, remplissait deux fois par jour sa panse à satiété. Il n’avait été ni battu, ni violenté, ni insulté, ni affamé depuis son départ de l’auberge. Il avait appris de belles choses, lui que l’on avait toujours traité auparavant à l’instar d’un animal borné. Un très appréciable changement qu’il devait à Druon. Quant à l’analyse, il n’était pas benêt et saisissait fort bien les raisons expliquant la mystification. Jeune femme orpheline et sans le sou, il ne restait à Druon – ou quel que fut son prénom – qu’une alternative peu réjouissante : rejoindre la horde des puterelles et des bordeleuses et finir comme elles de maladie, d’ivrognerie ou sous les coups d’un client mécontent, ou entrer au couvent. On lui réserverait des tâches subalternes en raison de sa naissance qui, sans être petite, ne pouvait rivaliser avec celle des damoiselles accueillies volontiers puisqu’elles offraient leurs biens. À l’évidence, Druon savait tant de choses magnifiques qu’elle méritait mieux. En conclusion, si Huguelin avait été à sa place, il aurait agi à son instar.
Ce beau raisonnement le rasséréna. Au diable, le fait que son maître soit mâle ou femelle ! Seul importait qu’il ou elle le considérait en être humain. Huguelin décida donc d’oublier son étonnante découverte. Après tout, Druon aurait aussi pu se couper et saigner à profusion. Mieux valait se concentrer sur leur gros souci du moment : allaient-ils survivre ?
Un raclement de clef. Hugelin sauta sur ses pieds, jetant un regard au sac afin de s’assurer qu’il en avait resserré le lacet de fermeture.
Druon pénétra l’air grave. Léon lui lança depuis la porte :
— Votre souper ne tardera pas. Prenez quelque repos. Je reviendrai vous chercher juste avant complies*.
Le soulagement fit s’emballer le cœur du jeune garçon. Et soudain, il comprit qu’au besoin qu’il avait de Druon se mêlait une véritable tendresse.
— Mon maître, mon maître… cria-t-il en se ruant vers lui pour enserrer sa taille de ses bras.
Un soupir las lui répondit, puis :
— Tout va bien… ou fort mal, je ne sais.
— Racontez-moi, de grâce !
— Huguelin, cette histoire est si embrouillée qu’une poule y perdrait ses poussins. Ne m’en veuille pas de mon silence. Il me faut m’asseoir et réfléchir.
— Ils ont apporté des
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