Aesculapius
martyrisant sa plume d’écriture.
Redevenu grave, le chevalier templier s’enquit :
— Messire, de grâce, pardonnez mon effronterie mais… À quoi vous sert une pierre dont personne ne sait rien ?
Abandonnant la plume qu’il avait malmenée, Nogaret eut un petit geste nerveux et avoua :
— À rien, si ce n’est que les autres ne l’auront pas. Racontez-moi encore.
— Je ne sais rien de plus que ce que je vous ai conté. La pierre nous fut dérobée il y a longtemps. Elle revêtait grande importance, de cela je suis certain. Laquelle ? Je n’en ai pas la moindre idée. Ainsi que vous le savez, à chaque grade de notre ordre correspond un niveau de connaissance. Seul le grand-maître possède l’intégralité de nos secrets. Je doute que Jacques de Molay vous vienne en aide au sujet de cette pierre si tant est qu’il en connaisse le secret. Quant à moi, il me voue à tous les diables depuis mon ralliement au projet de notre roi visant à réunir les deux grands ordres soldat sous une même bannière.
— D’où provient-elle ?
— Je l’ignore. Elle est fort ancienne. À preuve, elle fut en notre possession durant des lustres. Nous l’avons veillée. Un frère renégat l’a dérobée afin de la vendre au plus offrant. Mal lui en prit : on l’a retrouvé égorgé à l’orée d’un bois, non loin de la taverne où il séjournait. Nous avons ensuite perdu sa trace, jusqu’à Jehan Fauvel dont nous pensons qu’il l’obtint d’un moine de l’abbaye de Sainte-Trinité à Thiron, moine qui fut enherbé. Voilà tout.
— Dieu du ciel, quel brouillard, se plaignit M. de Nogaret.
Hugues de Plisans hésita puis admit :
— Ce qui semble avéré, messire, c’est que cette pierre sème des ravages sur son passage. Tant ont trépassé de l’avoir convoitée ou possédée !
Un sourire triste étira les lèvres de M. de Nogaret.
— Plisans, mon cher, nul n’est besoin de superstition. La cupidité des hommes suffit et explique nombre de prétendus maléfices !
1 - Anti-migraineux.
2 - Mélange de cire et d’huile d’amandes douces auquel on ajoutait divers produits actifs.
3 - La première pandémie documentée qui atteignit la Gaule eut lieu en 540 de notre ère.
4 - Qui favorisent l’expulsion des gaz intestinaux.
5 - Elles exerçaient comme médecins, du moins jusqu’au XII e siècle, avant le début des lois anti-femmes.
6 - Entrepris en 1305, les travaux s’achevèrent en 1312, un record à l’époque.
XXXVII
Saint-Ouen-en-Pail, août 1306, au soir échu
I ls firent halte à une vingtaine de toises du village, à hauteur d’un petit bois. Entre chien et loup, songea Druon. Une métaphore appropriée, ce moment où une nature à peu près contenue et paisible peut basculer dans la sauvagerie, expliquant sans doute la peur instinctive que l’homme a de la nuit et de ses créatures. Ses déjà faibles sens n’ont plus guère d’utilité, et il redevient une proie aisée, lui qui n’y voit plus goutte, flaire et entend toujours aussi mal que le jour. Cette appréhension, encore renforcée par les œuvres de la créature, servait Druon. Le village devait s’être claquemuré. Nul ne traînerait dans les venelles, sauf quelques ivrognes pressés par un besoin qui ne s’écarteraient guère de la porte entrouverte des gargotes.
Telle une ombre, le pan de son mantel rabattu sur l’épaule afin de tirer sa courte épée à la hâte, sa bougette alourdie d’une bonne boutille de vin pour séduire Gaston, Druon se faufila dans le dédale de ruelles.
En chemin pour la bourgade, Léon lui avait expliqué où il pourrait trouver le Simplet. En précisant qu’à cette heure l’idiot serait si ivre qu’il n’en tirerait pas trois mots cohérents. À quoi Druon avait rétorqué :
— Ah… mais c’est que les gens ne savent pas écouter. Nous en revenons à ce dont nous discutions plus tôt : vous partez tous de l’idée que rien de ce que pourrait dire Gaston le Simplet ne saurait être sensé. Sans doute ne peut-il décrire les choses comme nous autres, puisqu’il dispose de ses propres repères. Il suffit de les comprendre et de traduire.
Léon s’était rembruni, sans commenter.
Druon obliqua dans la ruelle des Jouvenceaux, située en bout de village. Rasant les murs, il se dirigea vers l’enseigne du Fringant Limaçon dont le propriétaire était ce Michel Jacquard, un autre membre du conseil du village. Les volets clos laissaient
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