Aesculapius
avec mon respect. Je n’ai malheureusement pas le pouvoir de lire dans l’esprit des uns et des autres et ne puis me fier qu’à mes observations et mes déductions. Or, pour l’instant, deux personnes seulement n’ont pu tenter d’enherber la baronne : Huguelin et moi.
— Grand merci pour votre confiance et votre affabilité, messire, puisque j’en suis également la cible. Cela étant, si votre nature suspicieuse est désobligeante, elle me rassure. Vous ne vous laisserez pas leurrer par les apparences.
— En effet. (Hésitant, puis songeant que Léon méritait l’entière vérité, il acheva :) Messire Léon… même si nous tirons la baronne de ce mauvais pas, sachez que l’arsenic exerce encore des effets néfastes de longues années, très longues années après l’intoxication 1 .
— De longues années… de compagnonnage avec elle… il faudrait que je sois bien fol et exigeant pour ne pas m’en contenter.
Léon déverrouilla la porte de la confortable prison souterraine et, pris d’émotion, serra Druon contre lui, lui assénant de grandes tapes bourrues dans le dos en affirmant :
— Mire, sans votre intervention et votre science, elle trépassait sous peu. Peut-être allons-nous la tirer des griffes d’une mort indigne d’elle ? Je suis votre obligé. À jamais. Où que vous vous trouviez. Les cuisines, maintenant. L’enherbeur ne le sait pas encore, mais sa hideuse mort est proche.
1 - Il est cancérigène.
XLIV
Château de Saint-Ouen-en-Pail,
août 1306, ce même jour
H uguelin lui fit la fête tel un chiot. Druon percevait l’angoisse du jeune garçon. Depuis leur départ précipité de l’auberge du Chat-huant s’était tissé entre eux un lien ardu à définir. Certes, le garçonnet lui était reconnaissant de l’avoir tiré de sa misère et des pattes de celle qu’il ne nommait plus que « la grosse truie malodorante » – puisqu’il est grisant de se moquer des choses et des êtres qui vous ont terrorisé et malmené. Toutefois, le mire sentait que s’y mêlait aussi une véritable affection. Il avait été le seul à traiter Huguelin en créature humaine respectable, capable d’apprendre et de ressentir. Aussi le jeune garçon redoutait-il aujourd’hui tout à la fois d’être exécuté par la baronne si son maître n’avait pas l’heur de la satisfaire, mais aussi que Druon se débarrasse de lui pour demeurer à son service dans le cas contraire. Quant à Druon, alors que sa première intention avait été de réaliser une bonne action en sauvant l’enfant des ardeurs répugnantes de la gargotière, il éprouvait maintenant pour lui un attachement qu’il fallait bien qualifier de maternel, n’oubliant pas sa véritable nature de jeune femme du nom d’Héluise.
— Mon maître, ah mon maître ! Chaque fois que vous disparaissez, je me demande si je vous reverrai. Contez-moi votre journée, de grâce. Je suis mort d’inquiétude et maintenant que vous voilà revenu vif et sauf, je meurs aussi de curiosité. Un bien vilain défaut, me rétorquerez-vous.
— Non pas. Une précieuse qualité pour qui sait en user.
— Alors ?
— Je t’avoue que le dédale dans lequel je progresse à la manière d’une fourmi est éprouvant. Chaque fois que je crois avancer d’un pas, survient autre chose qui me fait reculer.
— Et la bête démoniaque ?
— Oh, elle n’a rien de démoniaque, cher Huguelin !
— Hein ?
— On se doit de dire : « votre pardon » ou, au pis, « comment », corrigea Druon.
— Pardon, mon maître. Votre pardon ?
— Eh bien, si le démon est aussi empoté que la créature, il ne doit pas faire belle recette !
La stupéfaction qu’il lut sur le visage enfantin donna envie de sourire au jeune mire, en dépit de la gravité de l’annonce. Il poursuivit :
— Avant que je détaille à ton profit mes atermoiements et que je tente de disséquer au mieux cette sanglante charade, nous avons du travail.
— Quoi, quoi ? s’enthousiasma Huguelin à qui la solitude de la journée avait pesé.
— Profitons de la générosité du seigneur qui a mis à notre disposition papier, encre et plume 1 .
Huguelin s’attabla à ses côtés. La sienne étant encore bien malhabile, il s’émerveillait toujours qu’une main puisse tracer des lettres si petites et si parfaites que d’autres pouvaient lire et comprendre. D’autant que la bâtarde gothique 2 de son maître apparaissait d’une rare
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