Aesculapius
élégance.
— Reprenons ce que nous savons, grâce à messire Léon, de la localisation des différentes attaques.
Druon traça sur la feuille un grand triangle dont il hachura les trois côtés en expliquant :
— Des bois, et encore des bois. La forêt de Multonne. Idéale pour une retraite précipitée. (Désignant l’intérieur du triangle, il poursuivit :) La partie déboisée et cultivée, à l’exception de bosquets plus ou moins fournis mais toujours propices à la cachette, représente tout de même plus de cent arpents* 3 à ce que j’ai compris.
— Fichtre, ce n’est pas rien, commenta Huguelin dans un petit sifflement qui lui valut un regard réprobateur.
— N’oublions pas un point crucial que m’a soufflé le fermier Séverin Fournier : nous sommes au nord-ouest du village. Traçons des croix pour figurer les différentes… infortunées rencontres. Certes, je les positionne de façon approximative, en me fiant aux indications glanées ci ou là.
Il désigna la première d’un « R » pour Robert, le berger défiguré dont on avait retrouvé le chien terrorisé. Un « B » suivit pour Basile, puis un « P » pour Pauline, la femme mise en pièces, presque décapitée, au ventre lacéré d’horrible façon. Il n’oublia pas le chasseur de la baronne. Un « E » et un « A » figurèrent Étienne et Anselme, les deux jeunes bergers massacrés dont l’un avait tenté de s’enfuir, un « S » représentait Séraphine, et un « Al », Alphonse Portechape, le tonnelier, dernière victime. Ne manquait au dessin que le « H » du père Henri. Druon n’omit pas non plus les différents carnages d’animaux d’élevage qui avaient précédé.
La figure qu’il obtint l’intrigua. Tous les massacres avaient été commis en suivant la ligne d’orée des deux bois qui se rejoignaient en angle aigu, voire dans l’un des bois dit de la Veuve dans le cas de Basile. La bête ne s’était jamais écartée de plus de dix toises des futaies, sauf dans trois cas : les animaux sauvagement dévorés, le jeune Anselme qu’elle avait rattrapé alors qu’il tentait de fuir et Portechape le tonnelier.
— Cela vous évoque-t-il quelque chose, mon maître ? murmura Huguelin comme s’il craignait de déranger la messe.
— Pas encore. Cependant, maître Fournier a grand raison : qu’allait donc faire ce pauvre père Henri plein sud du village s’il voulait pousser la créature dans ses retranchements ? Passons à…
Un coup de poing asséné sur la porte les fit sursauter. La ravissante Sidonie, qui leur avait servi le vin dans la grande salle, son visage encadré par de beaux cheveux d’un chaud noisette apparut, escortée par le sinistre Grinchu. Sourire aux lèvres, elle s’avança en annonçant d’une voix douce :
— Vos dîners, messire mire. Avec les compliments de ma maîtresse.
— Grand merci, Sidonie.
— Pour vous servir, répondit-elle en se pliant en une gracieuse révérence. Je pense n’avoir rien oublié pour votre satisfaction. J’en serais fort marrie dans le cas contraire.
Elle disparut ensuite. Un sourire niais et conquis flottait sur les lèvres du garçonnet qui fixait la porte refermée et Druon songea, amusé, que viendrait vite le temps où il devrait le retenir par le chainse dès qu’une jolie donzelle croiserait leur chemin.
— Huguelin, me feras-tu l’honneur de revenir céans ? le sermonna-t-il pour la forme.
— Elle est… fort avenante, non ?
— En effet. Pouvons-nous reprendre ? Une bête malfaisante est lâchée dans la nature et il conviendrait que nous mettions un terme à ses agissements, au plus rapide !
— Pardon. Je suis tout ouïe, affirma le garçonnet en déballant le panier porté par la jeune Sidonie, une moue gourmande sur le visage.
Il étala une touaille sur la table et aligna dessus une miche de beau pain, un rôti de porc que l’on avait eu la délicatesse de découper en tranches, des rissoles dorées et d’appétissants beignets de fruits secs au miel. Sans oublier une bouteille de cidre.
— Tu m’en vois flatté. Or donc, passons maintenant aux différentes narrations que l’on nous a faites – du moins les survivants – de cette… chose. S’en dégagent deux descriptions, fort dissemblables, mais que je pense toutes deux véritables.
Les yeux écarquillés, Huguelin supplia presque :
— Dites-moi… mettez-moi à l’épreuve, de grâce !
— Gaston le Simplet
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