Aesculapius
Léon.
— Peu de chose, en vérité. J’éprouve une sorte de faiblesse intermittente… La tête me tourne parfois et je me réveille avec la bouche sèche.
— Souffrez-vous de céphalées, des nausées vous serrent-elles la gorge, madame ? Vos intestins sont-ils remués par des diarrhées ? s’enquit Druon.
— En effet.
— Avez-vous encore mangé de l’ail hier ?
— Je n’en ai pas mangé. (Elle se tourna vers le géant qui approuva d’un signe de tête, visiblement soucieux.) Je prends tous mes repas en compagnie de Léon.
— Fichtre, c’est pire que je ne le soupçonnais. S’ajoute la moiteur de votre visage. Comment n’ai-je pas réagi plus tôt ? Or messire Léon n’a jamais l’haleine chargée d’odeur alliacée. Puis-je examiner vos doigts ?
Béatrice d’Antigny tendit la main. Ce qu’il avait remarqué du coin du regard, à son arrivée, sans y prêter grande attention, lui ôta ses derniers doutes. Igraine ne le quittait pas des yeux. Druon détailla les stries blanchâtres qui marquaient les ongles de la baronne, puis sa paume sur laquelle étaient apparues des taches, et murmura, catastrophé :
— Les envoûtements de votre belle-sœur, s’ils sont monstrueux, n’ont rien à voir avec ce dépérissement, madame. Enherbement arsenical 1 *.
Un silence de sépulcre s’abattit dans la salle.
— Cela ne se peut ! murmura Béatrice d’Antigny d’une voix atterrée.
Léon plaqua l’une de ses énormes mains sur sa bouche et Druon redouta de le voir fondre en larmes. Igraine paraissait pétrifiée.
— C’est même certain. L’arsenic a toujours été un poison fort prisé et son utilisation remonte à loin. De goût fort peu marqué, inodore, il est le comble de la sournoiserie. En fonction de la dose administrée, il peut tuer rapidement, ou à petit feu. Il provoque des symptômes et des diarrhées profuses qui évoquent une maladie de ventre, permettant ainsi à l’enherbeur de passer inaperçu.
Druon sentit que la baronne fournissait un effort considérable pour se recomposer. Elle demanda d’un ton faussement détaché :
— Vais-je trépasser ?
— C’est-à-dire, il convient d’être…
— Une réponse, messire mire ! Vais-je trépasser, dans combien de temps et dans quelles douleurs ?
— C’est que madame, j’ignore depuis quand l’on cherche à vous occire et quelles doses vous ont été distribuées.
— Julienne ? murmura Igraine qui paraissait revenir à la conscience.
— Je m’en étonnerais, rectifia Druon. Pourquoi aurait-elle eu recours à la magie si elle avait eu à sa disposition un toxique qui a amplement fait la preuve de sa terrible efficacité ?
— Si le scélérat, le maudit me tombe entre les pattes, je lui fends la panse et lui fais avaler ses tripes, promit Léon, si posé que tous sentirent qu’il ne s’agissait pas d’une figure de style.
— D’ailleurs, où aurait-elle pu se le procurer ? renchérit la baronne.
— Cela, madame, serait chose assez simple. Les marchands ambulants offrent parfois des denrées bien étranges pour qui a bourse bien pleine. Je ne serais pas surpris qu’elle ait ainsi acheté les têtes de serpent, car je la vois mal chasser la vipère. Toutefois, encore une fois, je doute qu’elle soit l’enherbeuse.
— Il s’agit d’un membre de ma mesnie. Il doit m’être proche pour pouvoir renouveler ses administrations.
Léon examinait ses ongles depuis quelques instants et souligna :
— Je n’ai pas de stries, je ne sens pas l’ail et je ne manifeste aucun symptôme. Or, ainsi que vous l’a dit mon seigneur, messire mire, je partage son boire et son manger.
— Pas mon vin chaud, ni mes épices de chambre 2 , observa la baronne. C’est ainsi que l’on m’empoisonne.
— Qui vous les sert ? demanda le jeune mire.
— Ma foi… le plus souvent Sidonie, parfois Clotilde… Non, je ne peux croire qu’elles me détesteraient au point de…
— Les servants de cuisine peuvent s’en approcher durant la préparation, tenta de la calmer Igraine.
Béatrice d’Antigny se leva d’un bond et la fureur fit trembler sa voix. Elle tempêta :
— Je veux cet enherbeur, je veux lui arracher les yeux et l’écorcher vif moi-même !
S’agitant sur son perchoir, Morgane poussa un cri perçant. La baronne se tourna vers son aigle chérie et concéda :
— Ma toute belle, tu as raison. C’est toi qui l’énucléeras. Quant à toi, Igraine, tu
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