Aïcha
lors de la razzia contre Abu Sofyan.
Et moi, l’amour de mon époux pour sa fille Fatima, je le connaissais mieux que personne. Leur histoire était longue et riche. Je comprenais ce désir qu’elle avait de se trouver près de lui. Il ne m’importunait pas, même si les méchantes langues, par la suite, prétendirent le contraire. Ce que je redoutais, c’était le mauvais caractère de Fatima et ce mépris qu’elle avait toujours manifesté à mon égard. Mais la gamine qu’elle croyait pouvoir impressionner n’existait plus…
Cependant, le regard de mon époux disait tout l’embarras et le doute que faisait naître mon rire intempestif. Dans la lumière flottante des lampes, son visage si puissant fut saisi par la tendresse du désarroi. Rien n’était plus beau à voir.
Nous étions debout devant ma couche. Je m’avançai jusqu’à nouer mes bras autour de sa taille et lui faire sentir combien tout ce qui était de moi ne désirait qu’être tout entier lié à lui.
— Fatima a raison de vouloir être plus près de toi, dis-je. Tu pourras voir ton petit-fils Hassan plus souvent. Et peut-être qu’à me fréquenter tous les jours, Fatima aura moins mauvaise opinion de moi.
Le bonheur qui illumina le visage de mon bien-aimé, j’aurais voulu en faire la doublure de mes paupières.
Cette nuit-là, alors que plus aucun tissu ne me couvrait, Muhammad voulut me voir porter la coiffe d’or et de pierres offerte par Zayd et Talha. Quand elle recouvrit mes cheveux roux, il m’observa en silence un si long moment que la gêne commença à m’embraser. Avec une gravité mêlée de peine, il ôta la coiffe de ma tête et la fit scintiller sous mes yeux.
Il sourit étrangement.
— Zayd et Talha sont jeunes et vaillants. C’est un beau présent. Mais ce sont seulement des pierres et du métal que Dieu laisse briller pour notre plaisir.
Il jeta la coiffe loin de la couche. L’or et les pierres cliquetèrent, roulèrent sur le tapis jusqu’à l’ombre d’un coffre. Mon époux saisit mon visage. Ses paumes chaudes me pressèrent contre sa poitrine.
— Le don d’Allah à Son Envoyé, dit-il tout bas, c’est toi, ô mon miel. La beauté que le Seigneur Dieu engendre, il n’est que les aveugles pour la croire dans l’or et les pierres précieuses.
Il baisa mes lèvres et ajouta :
— Allah nous a donné beaucoup ces temps derniers. Il nous observe et voit ceux qui oublient le jour du jugement alors que rien encore n’est accompli. Il saura nous le rappeler. N’oublie pas cela. Tu es de celles qui sont sages sans le savoir. Ne Le déçois pas.
Que le Tout-Puissant m’en soit témoin : mon époux savait déjà où le temps nous menait et l’épreuve si terrible qui nous attendait.
4.
Le lendemain était jour de prêche. Du haut de son fameux escalier de bois, Muhammad répéta ces mots à tous ceux venus l’entendre :
— Le Seigneur Clément et Miséricordieux nous a donné beaucoup ces temps derniers. Il nous observe et voit ceux qui oublient le jour du jugement alors que rien encore n’est accompli. Prenez garde. Il saura nous le rappeler.
Les Croyants l’écoutaient-ils ? Je ne le pense pas. Ce n’était pas des mots qu’ils voulaient entendre. La joie de la richesse et de la victoire aveuglait leur coeur. Ils s’endormaient avec l’illusion, fondée, de la puissance et d’un avenir doré. Ces jours étaient parmi les plus heureux. La grandeur d’Allah semblait accompagner chacun de nos pas.
Mon époux accorda à Fatima le droit de changer de maison. Le voisin complaisant y gagna une vaste demeure. Il remercia Dieu par une fervente prière et Son Messager par le don d’une jeune chamelle à toison fauve.
Aussitôt, les travaux joignant nos cours commencèrent. Fatima s’assura elle-même que les tailleurs, les charpentiers et les maçons agissaient selon ses ordres. Elle se montrait calme et aimable lorsqu’il arrivait à nos regards de se croiser.
C’est à cette période, alors que les nuits commençaient à fraîchir, qu’une rumeur courut dans les cuisines. Barrayara, la première, rapporta que le grand hypocrite de Ka’b ibn Aschraf revenait vivre chez les Banu Nadir, sa tribu, dont il prétendait devenir le chef.
— Nous allons de nouveau entendre ses cris et ses injures, prédit-elle.
— Zayd et Talha devraient l’étouffer avec ses sawiq, se moqua l’une des servantes. Ibn Aschraf en a tant laissé derrière lui en fuyant qu’il en
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