Aïcha
des méharis endurants. Abu Hamza, qui détestait la contradiction, protesta. Zayd ne céda pas. Soudain, Abu Hamza se tourna vers mon époux :
— Écoute-moi, Envoyé, dit-il. Je veux mener cette razzia moi-même. Après tout, n’est-ce pas moi qui vous ai prévenus ?
Muhammad montra en silence le soleil. Le temps passait. Il fallait se décider. Il donna raison à Omar et à Zayd.
— Zayd est en charge, déclara-t-il. À lui revient la décision, la victoire ou l’échec. Mais il faudra quitter Madina dès aujourd’hui, et avec discrétion.
C’était une période de grosse lune. Il était aisé de parcourir de longs trajets durant la nuit. Le départ de la troupe fut fixé après la prière du soir.
Barrayara me chuchota encore :
— Ce soir, ne fais pas l’étonnée. Ton époux ne priera pas dans la mosquée. Il ne veut pas que les mauvaises langues de Madina voient la troupe de Zayd quitter l’oasis. Chaque guerrier le fera de son côté au crépuscule. L’Envoyé les rejoindra dans un endroit discret où ils prieront ensemble. Ensuite, Inch Allah !
Hélas, tant de discrétion ne servit à rien.
Quand le ciel vira au rose, je me postai près de notre porte. Je voulais saluer mon époux quand il partirait rejoindre Zayd et Talha. Il n’avait pas été sourd à mes remarques. Il leur donnait une chance de prouver leur valeur aux compagnons plus âgés, comme Abu Hamza.
Muhammad approcha, en compagnie de mon père Abu Bakr. Ils montaient ces vieilles chamelles avec lesquelles ils parcouraient l’oasis quotidiennement. Que mon époux soit heureux de me voir, je le sus tout de suite. Il fit agenouiller sa bête pour me baiser le front et m’annonça :
— Je vais me promener avec ton père. Nous ferons notre prière du soir dans une ancienne masdjid.
Il ajouta que je pouvais m’endormir sans attendre son retour. Il aurait du plaisir à me réveiller.
Cette sortie de mon époux attira quelques coups d’oeil suspicieux. Notre embrassade plus encore. Mais ses paroles parurent banales… Un époux saluant son épouse.
Son regard, cependant, me disait ce que ses lèvres ne prononçaient pas. Il savait que je connaissais le secret de cette sortie.
Alors que sa chamelle se relevait, Ali et Fatima arrivèrent au galop. Ils montaient leurs beaux chevaux de guerre. Leurs manteaux flottaient derrière eux. La fille de l’Envoyé portait une cuirasse de cuir qui moulait un buste à envier. Un grand arc et un carquois de flèches pendaient à sa selle.
Cette arrivée pleine de vigueur fit relever toutes les têtes.
Ali salua mon époux comme s’il n’avait pas passé toute la journée à son côté. Le front plissé d’embarras, il lui demanda la permission de l’accompagner. Baissant la voix, il précisa :
— Là où tu vas ce soir pour la prière.
Muhammad n’eut pas le temps de répondre. Fatima poussa son cheval contre sa chamelle.
— Père, tu m’avais promis que je serais ta lame pour les prochains combats. Laisse-moi rejoindre Zayd !
Elle tentait de parler bas, mais sa voix était si emplie de colère que chacun l’entendit. Muhammad répondit avec ce calme qu’il montrait en toute circonstance :
— Zayd a déjà les compagnons qu’il lui faut.
— Je le sais. Mais Talha ibn Ubayd Allah peut me céder sa place. A-t-il déjà combattu ? Non. Moi, cela fait…
Mon époux l’interrompit :
— Ma fille n’est pas de celles qui font les razzias. Le combat viendra, Fatima. Allah voudra t’y voir, et moi aussi. Pourquoi en doutes-tu ? Ton impatience déplaît à Dieu.
Muhammad conservait un ton plaisant, mais à sa manière de tenir la longe de sa chamelle et de l’écarter du cheval de Fatima, on devinait son agacement. Fatima insista. Muhammad fit signe à Ali de venir à son côté et talonna sa chamelle. Mon père, qui s’était tenu en retrait, poussa sa monture au petit trot pour les rattraper.
Fatima les regarda s’éloigner. Ses joues étaient plus rouges que le soleil rasant du désert. Devait-elle galoper derrière son père ou rentrer chez elle ?
Elle fouetta le flanc de son cheval en tirant sur les rênes. Il piétina sur place, tourna sur lui-même, ses sabots jetèrent la poussière du chemin jusqu’à mes pieds. Depuis le haut de sa selle, Fatima me fit face. Son regard me transperça le coeur. Je ressentis sa fureur jusque dans mes os. Je comprenais son humiliation. Qu’y pouvais-je ? C’était sa folie de vouloir se battre
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