Aïcha
couffins remplis de leurs bijoux et vêtements les plus précieux. La plupart étaient décemment vêtues. L’une d’elles, cependant, retenait les pans déchirés de sa tunique qui laissaient entrevoir la grande beauté de son corps de vingt ans. Sa coiffure était défaite et une large marque assombrissait sa joue gauche. Elle fixait l’Envoyé d’un air si intense et si passionné que chacun le remarqua.
Il attendit un long moment avant de la faire approcher.
— Comment t’appelles-tu ?
— Safyia bint Hoyayy.
— Ce sont des guerriers d’Allah qui ont déchiré ta robe ?
— Non, Apôtre de Dieu. C’est mon époux.
— Qui est ton époux ?
— Kinâna ibn al Rabi, celui des Banu Nadir à qui tu as coupé la langue puis la tête.
— Quelle faute as-tu commise pour être ainsi maltraitée ?
— Il y a quatre jours, j’ai fait un rêve. Je dormais les yeux grands ouverts et voyais la lune si proche que j’aurais pu la caresser. J’ai tendu la main. La lune s’est détachée du ciel pour tomber sur mon sein droit. Quand je me suis réveillée, ce sein était brûlant et très sensible. Je n’ai pas compris immédiatement le sens de mon rêve. Puis ton armée est arrivée, innombrable. Alors j’ai raconté mon rêve à mon époux Kinâna. La colère l’a emporté. Il m’a dit : « Ah ! La vérité sort enfin de ta bouche ! Toi aussi, femelle, tu désires voir ce Muhammad roi ! Roi sur toi, roi sur la terre de Khaybar !» Et il m’a frappée. Je suis heureuse que tes guerriers m’aient délivrée de Kinâna.
— Tu m’appelles « Apôtre de Dieu » alors que tu es juive ?
— Tu l’es, Envoyé d’Allah. Je lis les rouleaux d’écriture depuis ma dixième année. J’ai lu comment Abraham et Agar ont enfanté Ismaël et comment Agar a trouvé la source de la Ka’bâ. Ce qui est écrit est écrit.
— Es-tu prête à suivre la loi d’Allah et à accepter Sa clémence et Sa miséricorde ?
— Ô nâbi, je suis la suivante d’Allah depuis que la lune a brûlé mon sein !
Le lendemain, l’Envoyé annonça qu’il prenait Safyia pour épouse. Il ajouta qu’il se satisferait de sa liberté pour dot et que son clan n’aurait pas de butin à donner.
Il dit :
— Que ces épousailles montrent que les Juifs et les Croyants d’Allah sont sous la paume du Tout-Puissant, car il n’est de Dieu que Dieu.
Une fois dans sa chambre de Madina, Safyia ouvrit ses couffins remplis de bijoux rapportés de Khaybar.
— C’est pour vous, nous dit-elle, à nous, les épouses. Choisissez et prenez. Cela fait longtemps qu’ils m’embarrassent.
Cette prodigalité était à la hauteur de sa beauté. Elle attira bien des commentaires :
— Les Juives donnent pour tromper, marmonnèrent quelques-uns autour de notre époux.
Si bien qu’un jour où il y avait du monde autour de lui et que Safyia lui présentait son écuelle de soupe, l’Envoyé prit son poignet avec douceur et déclara :
— J’ai entendu des mots pleins de méchanceté qui nécessitent rectification. Le mari de Safyia est Muhammad, son père est Aaron et son oncle Moïse.
Et moi, Aïcha bint Abi Bakr, je témoigne que Safyia bint Hoyayy, huitième Mère des Croyants, fut aussi entière dans ses dons que dans sa dévotion à notre époux. Au jour de se présenter devant Dieu, elle avait vidé sa maison et donné tous ses biens aux plus démunis.
3.
Tout le Hedjaz connut la nouvelle de la victoire de Khaybar en moins de temps qu’il ne nous en fallut pour revenir à Madina.
Dès que l’Envoyé retrouva sa place sous le tamaris de notre cour, des délégations affluèrent de partout. Elles avaient toutes les mêmes mots à la bouche :
— Ô Apôtre d’Allah, lis-nous les devoirs des Croyants ! Nous voulons être en paix avec ton Rabb. Qu’Il nous considère comme Ses soumis ! Que Sa paume s’étende sur nous !
Omar interrogea ceux qui revenaient de Mekka. Les opposants à Abu Sofyan s’organisaient. La guerre avait épuisé le commerce et les marchands voulaient la paix. Mais les puissants de la mâla, eux, espéraient encore vaincre l’Envoyé d’Allah.
Puis, un matin, Fatima accourut devant son père, le visage brillant d’excitation.
— Père, te souviens-tu du Bédouin ibn Uraïqat ? s’écria-t-elle. Celui qui t’a conduit de Mekka jusqu’ici, avec Abu Bakr et moi-même, lorsqu’il a fallu fuir Abu Lahab et Abu Sofyan ?
Muhammad acquiesça.
— Son fils
Weitere Kostenlose Bücher