Aïcha
miséricorde, même venus de Sa bonté, n’effacent pas entièrement les crevasses de l’innocence perdue.
Le châtiment d’Allah envers les colporteurs de calomnies, chacun en vit les effets. Jusque dans notre maison. Jusque dans les chambres des épouses.
De ce jour, plus une bouche n’osa s’ouvrir contre moi. Cela avec tant de puissance que je dus me moquer d’Hafsa pour qu’elle reprenne ses manières naturelles et que notre tendresse de soeurs revive.
Ceux qui avaient misé sur la faiblesse de notre époux durent ravaler leur fiel, leurs grimaces vicieuses et leurs médisances hypocrites. Non pas qu’ils devinrent meilleurs et fidèles selon la voie droite. De leur vie, ils en furent incapables. Mais désormais leurs bouches brassaient le vide. La pourriture de leur coeur ne trompait plus personne. S’ils tentaient de semer le doute, nul ne les suivait. Chacun de leurs pas, chacune de leurs vociférations les rapprochaient de la géhenne du jugement éternel, tandis qu’Allah ouvrait en grand le chemin de gloire de Son Envoyé. Ibn Obbayy le puant se retrouva seul dans une maison vide. Quand il arpentait le marché, les visages se détournaient de lui. Où qu’il se rende, l’ombre de la colère d’Allah marchait sur ses talons.
Et commença le chemin de gloire de mon époux.
Inlassablement, montrant la force d’un homme de la moitié de son âge, Muhammad arpenta l’ouest et l’est, le sud et le nord, les plaines et les montagnes, les déserts et les oasis. Partout, il répandait auprès des infidèles la loi et la justice du Clément et Miséricordieux. Les rangs des Croyants grossissaient.
Si bien que, au cours de la septième année de notre vie à Madina, il ne resta plus dans tout le Hedjaz que deux épines dans la babouche de l’Envoyé : Khaybar et Mekka, les entêtées.
Moi qui vis tout des vérités de ces jours, je peux témoigner depuis ma nuit de souvenirs. Allah n’eut besoin que d’un souffle léger pour retirer cette douleur des pieds de son nâbi.
2.
Pour Khaybar, voici ce qui fut.
Une nuit, Muhammad poussa la porte de ma chambre. Les lampes de la mosquée brillaient encore. Je vis son visage. Les poils gris de sa barbe, les cernes de ses yeux… tout s’effaçait derrière un sourire lumineux. Un sourire que je ne lui avais pas vu depuis longtemps.
Il me regarda :
— Aïcha ! Miel de ma vie ! Aïcha !
Rien de plus. D’un bond, je me relevai et jetai des coussins sur le tapis. Son manteau était déjà tombé sur ma couche. Mon bien-aimé tremblait tandis qu’il s’écriait :
— Ô frère Djibril ! Frère Djibril !
Je disposai le manteau sur son dos puis fermai les yeux.
La voix de l’ange d’Allah jaillit dans la voix joyeuse de mon époux :
— Nous voici, Messager ! Notre victoire vient pour toi
Éclatante et sans discussion.
Allah a vu tes faiblesses,
Qui va sans carences ?
Allah t’aide d’une aide exigeante
Ses armées de ciel et de terre
Te conduisent, ô Al Fath [30] !
Allah ouvre les jardins des Croyants et des Croyantes,
La victoire grandiose jaillit
Des rivières purifiantes [31] …
Ce fut long, je ne compris pas tout. Au matin, Muhammad répéta les mots de Dieu du haut de l’escalier de la masdjid. Il ajouta :
— Dieu dit : la victoire est là. Ôtez les dernières épines qui entravent votre marche vers la sainte Ka’bâ. Le moment est venu. Demain, nous marcherons sur Khaybar.
Depuis la bataille du fossé, ceux de Khaybar n’avaient cessé de s’accroître. Les juifs et les païens qui se glorifiaient de calomnier Allah s’y assemblaient. L’oasis comptait sept fortins. Une partie des juifs chassés de Madina, ainsi que d’autres des montagnes, y entretenaient la haine et le désir de vengeance. En deux jours, ils pouvaient rassembler cinq ou six mille guerriers. Un pacte les liait aux Beni-Ghatafan, des mercenaires païens. C’était mille hommes en armes de plus.
Sous le tamaris, l’Envoyé dit à ses compagnons :
— Préparez-vous. Aucun d’entre vous ne restera à Madina. Allah nous souhaite tous ensemble devant Khaybar.
À nous, les épouses, il dit pareillement. Ce qui n’était pas courant.
Notre troupe dut paraître innombrable. Assez pour que, après avoir vu nos tentes à l’orée de l’oasis, les Beni-Ghatafan, rompent leur pacte avec les juifs de Khaybar et s’en retournent chez eux.
Ensuite, Dieu distribua les devoirs.
À peine les tentes dressées
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