Aïcha
est chez moi ! s’exclama Fatima. Il est trop timide pour venir devant toi, père, mais il a beaucoup à t’apprendre.
Muhammad embrassa le jeune Bédouin comme un membre de sa famille. Le garçon avait à peine dix-sept ans. Il parlait très vite, et seulement dans la langue des Bédouins de Mekka. Il expliqua que son père, après trois ans de réflexion, s’était soumis aux lois d’Allah avant de convaincre ceux de son sang de l’imiter.
Au retour de la bataille du fossé, voulant effacer l’humiliation de leur défaite, Abu Sofyan et les puissants de Mekka s’étaient déchaînés contre ceux qu’ils soupçonnaient de suivre Allah. Son père avait été tué.
— Avant de mourir, ô nâbi, il m’a demandé de me rendre utile pour toi. Aussi, je viens te dire que Mekka est plus mûre pour ta paume qu’une datte qui perd son noyau. Ils sont nombreux à vouloir t’ouvrir les portes de la ville. Ils n’ont plus peur des mercenaires du Sud. Ceux-ci ne mettront pas leurs armes au service d’Abu Sofyan. Quand ils sont montés à dix mille pour assiéger Madina, ils n’ont pas eu le butin promis par leurs dieux de bois et de pierre. Leur seule récompense a été la honte de la défaite. Ils n’espèrent plus te vaincre. Non, ce qui retient les Mekkois, c’est la crainte de ta vengeance. Ils savent ce qu’ils t’ont fait endurer. Ils savent que leurs insultes à Allah méritent châtiment. Le Tout-Puissant souffle déjà sur leurs nuques. Leurs cheveux se dressent de terreur. Tu peux aller devant la sainte Ka’bâ monté sur ta mule blanche, ô Apôtre de Dieu, pas un ne s’y opposera.
La certitude qui vibrait dans le ton du jeune Bédouin amena des sourires de bonheur sur tous les visages. Elle rappelait la sourate de La Victoire :
« À Allah appartiennent les armées des cieux et de la terre.
Une semence a germé qui engendre une puissance nouvelle,
Merveille du semeur, fureur du mécréant [32] . »
Muhammad caressa la tête du jeune homme et dit :
— Tu viens vers nous comme un ange de ce monde.
Il le questionna encore. Lui réclama cent détails. Les compagnons écoutaient. Avant que l’Envoyé ne l’invite à prier à son côté, le fils d’ibn Uraïqat ajouta :
— Ô nâbi, tu dois savoir ceci. La fille d’Abu Sofyan est en guerre contre son père et sa mère, Hind bint Otba, la mangeuse de foie humain. C’est une fidèle d’Allah. Elle va de maison en maison pour tâcher de convaincre les fils et les filles des puissants de plier la nuque devant le Clément et Miséricordieux. À ceux qui se montrent surpris de sa soumission, elle dit : « Allah me l’a fait savoir : je suis une chair d’épouse pour Son Envoyé. »
Notre époux rit sans faire de commentaire.
Au soir, mon père Abu Bakr et Omar manifestèrent leur réticence :
— Nous avons du plaisir à écouter ce Bédouin. Mais il est jeune. Qui sait s’il n’est pas le jouet de ces cochons de Mekkois ? Qui sait si, à travers lui, ils ne nous tendent pas un piège ?
Omar envoya Talha et dix hommes tourner autour de Mekka pour récolter des rumeurs fraîches. Ils n’étaient pas partis depuis deux nuits que Barrayara entra dans ma chambre en glapissant :
— Aïcha ! La fille d’Abu Sofyan est dans notre cour ! Elle arrive de Mekka avec vingt chameaux, des esclaves et une cinquantaine de Croyants.
Allah me vit me presser, comme les autres épouses, derrière la cloison de palmes qui nous séparait de la cour. Il vit aussi mon soulagement quand je découvris l’apparence d’Omm ‘Habîba. Elle n’avait rien qui attirait l’oeil, au contraire. Visage ordinaire, pieds ordinaires, vêture ordinaire et taille bien petite. Seuls ses yeux étaient clairs et lumineux. Je me surpris à penser : « Au moins, en voilà une dont notre époux ne voudra pas dans sa couche. »
Stupide pensée !
Omm ‘Habîba ouvrit la bouche. Sa voix, rocailleuse et puissante, s’imprimait dans l’esprit après à peine quatre phrases.
— Messager, quand tu vivais à Mekka, mon père Abu Sofyan m’a mariée à Abu Ubaï. Il était vieux et doux. Déjà tu étais dans mes rêves quand mon époux venait sur moi. Allah connaît tous les chemins ! Mon époux s’est soumis à Sa parole et me l’a enseignée avant de mourir. Il m’a aussi appris les écritures des hanifs. J’ai renié mon père Abu Sofyan. Chacune de ses insultes envers toi était une insulte envers moi. J’ai patienté.
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