Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
portait à son doigt et le tendit à
Eumène. Puis il sortit.
Aristote referma sa sacoche, prit son manteau qui pendait au mur, et la clef de la porte qui était accrochée à un clou. Il jeta un dernier coup d'oeil à la demeure et dit, comme en son for intérieur:
" J'ai l'impression de n'avoir rien oublié.
--Alors tu es vraiment sur le départ ? observa Callisthène.
--Oui. J'ai décidé de rentrer à Athènes. La situation y est à nouveau calme, me semble-t-il.
-- Sais-tu o˘ aller ?
--Démade s'en est occupé, il m'a trouvé un grand b‚ti ment du côté de Lycée, pourvu d'un portique couvert, un peu comme à Miéza, o˘ je pourrai fonder mon école. Il y a assez d'espace pour y installer une bibliothèque, sans oublier mes collections de plantes. En outre, je consacrerai un département à l'étude de la musique. J'ai déjà fait transporter tout mon matériel au port, il ne me reste plus qu'à m'em barquer.
--Et tu m'abandonnes à mon enquête.
--Pas du tout. Je vais pouvoir rassembler plus de rensei gnements à
Athènes qu'en Macédoine. Désormais, j'ai appris tout ce que je pouvais apprendre ici.
--C'est-à-dire?
--Assieds-toi. " Aristote tira d'un tiroir quelques feuillets couverts de notes. " Une chose est s˚re: le bouleversement qui a suivi la mort de Philippe a engendré des bavardages, des racontars, des calomnies et des insinuations en tous genres, comme lorsqu'une grosse pierre tombe au fond d'un étang vaseux. Il faut attendre que la vase se dépose et que l'eau rede vienne limpide pour y voir un peu plus clair.
~ Le geste de Pausanias pourrait être la conséquence --c'était facile à
imaginer--d'une trouble histoire d'amours masculines, les plus dangereuses qui soient. La voici, briève ment: Pausanias est un beau garçon, très habile dans le maniement des armes, qui parvient à entrer dans la garde d'honneur de Philippe. Le roi le remarque et en fait son amant. Entre-temps, Attale lui présente sa fille, la pauvre Eurydice, qui séduit aussitôt le souverain.
~ ( Fou de jalousie, Pausanias fait une scène à Attale, qui ne semble toutefois pas attribuer une grande importance à la chose. Ou plutôt, il réagit avec esprit et, pour démontrer ses bonnes dispositions, invite le jeune homme à dîner après une battue de chasse en montagne.
" l~!endroit est isolé, le vin coule à flots, les participants sont plutôt excités. A un moment donné, Attale se lève, abandon nant Pausanias à
ses gardes-chasse, lesquels déshabillent le Jeune homme et le violent au cours de la nuit de toutes les facons possibles et imaginables. Puis ils le laissent plus mort que vif.
~ Bouleversé par cet outrage, Pausanias demande aussitôt à Philippe de le venger. Mais le roi ne peut se dresser contre son 2~6 ALEXANDRe l,E GlUNr ! Le ,:ILS DU SONG~ 287
futur beau-père, pour qui il nourrit, en outre, une grande estime. Le jeune homme voudrait tuer Attale, ce qui n est plus possible: le souverain lui a confié le commandement, avec Parménion, du corps d'expédition vers l'Asie.
Pausanias retourne donc sa colère contre la seule cible restante: Philippe.
Et il l'assassine. "
Aristote laissa tomber sa main gauche sur sa liasse de feuilles avec un bruit sourd, comme pour accompagner le sens de sa conclusion.
Callisthène examina ses petits yeux gris qui brillaie~t d'une expression indéfinissable, hésitant entre la complicité e~ l'ironie.
~
" Je me demande si tu y crois, ou si tu fais semblant d croire.
--Il ne faut pas sous-évaluer l'impulsion passionnelle, q3 a toujours représenté une forte motivation dans le compor ment humain, en particulier dans le cas d'un individu pri d'équilibre tel que peut l'être un assassin.
En outre, cette his toire est si complexe qu'elle pourrait être vraie.
--Elle pourrait. . .
--Oui. De nombreux éléments ne cadrent pas avec le reste. En premier lieu, beaucoup de rumeurs circulent à propc~ des amours masculines de Philippe, mais personne n'a jamai~ rien rapporté de s˚r à ce sujet, en dehors de faits totaleme~ épisodiques. Pas même dans le cas présent. quoi qu'il en sq peux-tu imaginer qu'un homme de son envergure accueiller~ dans sa garde d'honneur un hystérique doublé d'un déséq~ libré ?
~J
" Deuxièmement, si les choses s'étaient réellement passé~ ainsi, pourquoi l'offensé aurait-il tant attendu avant d'exéc~ ter sa vengeance, et pourquoi l'aurait-il fait d'une façon aus~i dangereuse ? Troisièmement, qui est le témoin
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