Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
en est encore temps. "
Callisthène s'approcha à son tour: " Bien s˚r qu'il le peut et il l'a déjà fait, hélas ! "
Les Grecs qui étaient venus le voir reculèrent d'un air gêné comme s'ils comprenaient qu'ils avaient involontairement provoqué un désastre aux proportions démesurées. Remar quant leur effroi, le souverain ordonna à
Eumène: " Fais donner trois mille drachmes d'argent ainsi qu'un sauf-conduit à ceux d'entre eux qui désirent rentrer pour embrasser leur famille. Les autres recevront une maison, des domestiques, des champs et du bétail en abondance. Veille à ce que cela soit fait. "
Le secrétaire en informa les Grecs, mais il avait du mal à se concentrer car le vacarme d˚ à l'affrontement et les cris déses pérés des habitants à
la merci de la soldatesque parvenaient déjà à ses oreilles.
Les détachements d'infanterie, qui venaient d'arriver, se précipitèrent à
leur tour vers les portes de la ville, craignant _ _
Es CON~I~S DU MONDE
que le butin ne leur échappe. Plusieurs estafettes allèrent au devant de l'armée de Parménion, à quelques stades de là, et lui annoncèrent que le roi avait laissé la capitale à la merci des soldats. La discipline fut aussitôt oubliée: les hommes aban donnèrent les rangs et coururent en masse vers Persépolis, o˘ commençaient à s'élever des colonnes de fumée et des langues de flammes.
Parménion éperonna son cheval, suivi du Noir et de Néarque. Ils rejoignirent Alexandre, qui, monté sur Bucé phale, contemplait ce massacre du sommet d'une colline, aussi immobile qu'une statue.
Le vieux général mit pied à terre et s'approcha. On pouvait lire sur son visage une profonde angoisse: " Pourquoi sire, dit il ? Pourquoi ? Pourquoi détruis-tu ce qui t'appartient déjà ? "
Alexandre ne lui accorda même pas un regard, mais Parménion vit les ténèbres de la mort et de la destruction assombrir son oeil gauche. Certain de ne pas être entendu, Callisthène murmura~: " N'ajoute rien, général. Je suis per suadé qu'en ce moment précis sa mère Olympias accomplit des rites sanguinaires en un lieu secret, et qu'elle est en pos session de son ‚me. Oh, si seulement Aristote était là pour balayer ce cauchemar ! "
Parménion secoua la tête, il regarda Le Noir et Néarque avec effroi, puis il monta sur son cheval et s'éloigna.
Le roi ne quitta la colline qu'au coucher du soleil, comme s'il s'extirpait du sommeil. Il franchit sur Bucéphale les portes de la ville.
L'un des lieux les plus beaux et les plus agréables de la terre, la plus haute expression de l'harmonie universelle selon l'idéologie des Achéménides, était aux mains d'une horde de sauvages avinés. Les Agrianes violaient des jeunes filles et des jeunes garçons en les arrachant aux bras de leurs parents, les Thraces se promenaient, couverts de sang, en exhibant les têtes tranchées des guerriers perses qui avaient tenté de leur résister, comme s'il s'agissait de trophées. Les ~acédoniens, les Thessaliens et les auxiliaires grecs n'étaient pas en reste: ils couraient, comme pris de folie, les bras char gés de coupes ornées de pierres précieuses, de chandeliers
erveilleux, d'étoffes fines, de cuirasses en or et en argent. Parfois, ils se heurtaient à des compagnons qui avaient encore ALEXANDRE LE GRAND j S CONFINS DU MONDE 775
les mains vides, et se battaient avec eux jusqu'au sang, s'égOr geant entre eux sans la moindre retenue, sans la moindre marque d'humanité. Parfois, voyant dans les bras des autres de magnifiques jeunes femmes, ils tentaient de les leur sous traire par la force des armes, avant de violer tour à tour ces pauvres proies sur le sol encore souillé du sang de leurs parents.
Le roi marchait au pas au milieu de ces cris et de ces hor reurs. Son visage ne laissait transparaitre aucune émotion comme s'il était sculpté
dans le marbre froid de Lysippe. Ses oreilles ne semblaient pas entendre les hurlements poignants des enfants enlevés à leurs mères, des femmes qui invoquaient le nom de leurs filles et de leurs fils, qui pleuraient sur les corps de leurs maris, impitoyablement massacrés devant les portes de leurs maisons. Seul le lent martèlement des sabots de Bucéphale sur les pavés paraissait l'atteindre.
Les yeux fixés droit devant lui, il observait l'immense palais royal, la divine apadana entourée de merveilleux jardins, de hauts cyprès, de peupliers argentés, de platanes rougis par la lumière languissante
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