Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
l'exter minateur implacable, qui transparaissait de plus en plus dans les moments de chasse et de course, pendant les exercices guerriers o˘ la fougue s'emparait de lui, l'amenant à pointer son épée sur la gorge de l'homme dont le seul but était de le préparer et de l'entraîner.
Alors le philosophe semblait deviner le mystère de ce regard qui se noircissait soudain, de l'ombre inquiétante qui se concentrait au fond de son oeil, lugubre comme la nuit du chaos primitif. Cependant, le moment de remettre en liberté le jeune lion argéade n'était pas encore venu.
Aristote sentait qu'il devait encore lui apprendre beaucoup de choses, canaliser sa formidable énergie, lui indiquer une visée et un but. Il devait doter ce corps, né pour la violence sauvage de la bataille, d'un esprit politique en mesure de concevoir un programme et de le mener à bien.
C'est seu lement ainsi qu'il achèverait son chef-d'oeuvre, comme Lysippe.
L'automne passa et l'hiver arriva. Les courriers apportèrent à Miéza une nouvelle: Philippe ne regagnerait pas Pella. Les rois de Thrace avaient relevé la tête et il était nécessaire de leur donner une leçon.
L'armée affronta donc les rigueurs de l'hiver dans ces régions battues par des vents glacials, soufflant depuis les plaines enneigées de la Scythie ou les pics gelés du Hémon.
Ce fut une campagne d'une effroyable difficulté, au cours de laquelle les soldats se battirent contre un ennemi fuyant qui luttait sur son propre territoire, habitué à survivre dans les pires conditions. Mais quand le printemps revint, l'immense étendue qui reliait les rives de la mer …gée au grand fleuve Istros était pacifiée et unie à l'empire macédonien.
Le roi fonda une ville au centre de ces terres sauvages, et il lui donna son nom, Philippopolis, suscitant à Athènes les commentaires ironiq˘es de Démosthène, qui l'appela " la ville des voleurs " ou " la ville des criminels ".
Le printemps fit reverdir les prairies de Miéza et ramena les bergers et les gardiens de troupeaux vers les p‚turages mon tagneux.
Un jour, après le coucher du soleil, la tranquillité de ces lieux fut brisée par un bruit de galop effréné, puis par des ordres secs, des voix enflammées. Un cavalier de la garde royale frappa à la porte de l'école d'Aristote.
" Le roi Philippe est ici. Il veut voir son fils et te parler. "
Aristote se leva avec empressement pour aller à la rencontre de son hôte illustre et, tandis qu'il parcourait le couloir, dis tribua rapidement des ordres à ceux qu'il croisait afin qu'ils préparent le bain et le dîner du roi.
Lorsque le philosophe pénétra dans la cour, Alexandre l'avait déjà
précédé en dévalant les escaliers.
" Papa ! cria-t-il en se précipitant vers son père.
--Mon garçon ! ", s'exclama Philippe, qui le serra longue ment dans ses bras.
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Alexandre se libéra de l'étreinte de son père et le dévisagea. La campagne de Thrace l'avait profondément marqué: il avait la peau br˚lée par le gel, une grosse cicatrice sur l'arcade sour cilière droite, l'oeil à
moitié fermé et les tempes blanchies.
" Papa, que t'est-il arrivé ?
--J'ai mené la campagne la plus dure de ma vie, mon garçon, et l'hiver a constitué un ennemi plus acharné et plus impitoyable que les guerriers thraces; mais désormais notre empire s'étend de l'Adriatique au Pont-Euxin, du fleuve Istros au col des Thermopyles. Les Grecs seront obligés de me reConnaître comme leur chef de file. "
Alexandre aurait aimé lui poser mille autres questions, mais il vit les domestiques et les servantes accourir, et il dit: " Tu as 102 ALEXANDRE LE GRAND IE FILS DU SONGE ~ 03
besoin d'un bain, papa. Nous poursuivrons notre conversation pendant le dîner. Désires-tu quelque chose de particulier ?
-- Il y a du chevreuil ?
--Autant que tu en voudras. Et du vin de l'Attique.
--Tant pis pour Démosthène !
--Tant pis pour Démosthène, papa ! ", s'exclama Alexandre avant de se précipiter à la cuisine pour veiller aux préparatifs du repas.
Aristote rejoignit Philippe dans la salle de bains et s'assit pour écouter ce que le roi avait à lui dire, tandis que les ser vantes lui massaient les épaules et lui savonnaient le dos.
~ C'est un bain tonifiant à la sauge. Après, tu te sentiras beaucoup mieux. Comment te portes-tu, sire ?
--Je suis épuisé, Aristote, et j'ai encore tant de choses à
accomplir. . .
--Si tu restais ici deux semaines, je suis
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