Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
l'air à une incroyàble distance. J'ai vu une peau de tigre, à défaut d'avoir pu voir cet animal, voilà pourquoi je suis en mesure de le décrire.
Je dois m'arrêter maintenant. Les pluies torrentielles rendent l'écriture impossible. L'humidité pourrit tout, les hommes tombent malades, d'autres sont happés par les crocodiles, qui pullulent sur ces terres car les fleuves débordent de leurs lits et leurs eaux inondent les cam pagnes sur des milliers de stades. J'ignore quand je retrou verai l'espoir de vivre comme un homme et non comme un animal.
Seul Alexandre semble épargné par la fatigue, le décou ragement ou les peurs. Il avance à la tête de l'armée, se i~raye un chemin en tranchant avec son épée les plantes qui entravent sa route, il secourt ceux qui tombent, encourage ceux qui sont las. Une lumière ardente brille dans son regard, cette lumière qui habitait ses yeux le jour o˘ je le vis sortir du temple d'Ammon, dans le désert de Libye, il y a si longtemps.
Le récit de Ptolémée s'interrompant, Aristote referrna le rouleau et le posa sur une étagère.
Il pensa à Callisthène, et ses yeux se remplirent de larmes. Son aventure s'était achevée misérablement aux confins du monde, et il avait peut-être été vaincu par la peur, plus que par le poison. Il plaignit son neveu, car il savait que ses idées étaient plus fortes que son esprit et son courage.
Il aurait aimé l'assister au moment suprême, lui lire les dernières paroles de Socrate: " Il est temps maintenant de partir, moi vers la mort, vous vers la vie... ", mais l'étau de la terreur l'aurait peut-être empêché de les entendre.
Aristote éteignit sa lanterne. Tandis qu'il se couchait en sou pirant dans sa chambre vide, à la lueur diaphane de la lune d'automne, il se demanda si Alexandre avait éprouvé de la pitié à l'égard de son ancien ami.
53
Héphestion courut sous la pluie battante vers la tente du roi en pataugeant dans la boue. Après en avoir franchi le seuil, il s'approcha du brasero qui répandait plus de fumée que de chaleur. Alexandre vint à sa rencontre et Leptine lui tendit un manteau sec.
" Sangala s'est rendue, annonça-t-il. Eumène finit de comp ter les morts et les blessés.
--Y en a-t-il beaucoup ?
--Hélas. Plus de mille... entre mille et mille cinq cents. De nombreux officiers. Lysimaque fait partie des blessés, mais il n'est pas en danger, semble-t-il.
--Et eux ?
--Dix-sept mille morts.
-- Un massacre. Ils nous ont opposé une vaillante résis tance.
--Et nous avons une énorme quantité de prisonniers. Nous avons également réquisitionné trois cents chars de guerre et de soixante-dix éléphants. "
Eumène entra, trempé par la pluie. " Je dispose d'un bilan définitif, annonça-t-il. Nous avons cinq cents morts, dont cent cinquante Macédoniens et Grecs, et mille deux cents blessés. Lysimaque a une sale blessure à
l'épaule, mais ses jours ne sont pas en danger. As-tu d'autres ordres à me donner ?
--Oui, répondit Alexandre. Tu partiras demain pour les deux villes qui nous séparent de l'Hyphase. Tu emmèneras des prisonniers pour qu'ils racontent ce qui s'est passé à Sangala. Si les seigneurs de ces villes reconnaissent mon autorité, il n'y aura ni morts ni massacres. Nous t'emboîterons le pas avec le reste de l'armée. "
Eumène acquiesça, puis sortit en s'abritant sous un man teau tandis qu'un éclair aveuglant illuminait tout le camp en y répandant une lumière bleutée, et qu'un coup de tonnerre éclatait quasiment au-dessus de la tente du roi.
" Je vais surveiller le transfert des prisonniers, dit Héphestion. Si je peux, je repasserai avant que la nuit tombe pour te faire mon rapport. "
Il marcha jusqu'à la palissade qui entourait le campement en se protégeant sous son bouclier. Les prisonniers défilaient entre deux rangs de pézétairoÔ, immobiles sous la pluie tor rentielle, derrière deux officiers à cheval qui les conduisaient vers un vaste enclos non loin de la porte occidentale, o˘ l'on avait monté des tentes qui ne pouvaient en contenir que la moitié. Il s'assura que les femmes et les enfants étaient abri tés, puis il s'occupa des hommes, qui se pressaient-les uns contre les autres, les pieds dans la boue.
Il leva les yeux vers le ciel couvert de gros nuages chargés de pluie, puis les rabaissa vers l'horizon sur lequel s'abattaient des éclairs aveuglants à un rythme martelant. Un ciel monstrueux, une pluie incessante.
O˘ se
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