Alexandre le Grand "le fils du songe 1"
celui d'Aristandre, un regard sombre et complice. Il reprit la parole à grand-peine: " Si. Jusqu'à ce que je fasse ta connaissance, jusqu'à ce que je voie en toi la puissance de l'Océan sous la tempête, la force sauvage du tigre, la majesté des montagnes enneigées qui
1 nn,~ AL~X~NnR~ L~ GIIAI~Il) L~S CONFL`15 DU MONDI- I 0U9
soutiennent le ciel. J'ai voulu te connaître, et connaître ton monde. J'ai voulu te sauver au moment o˘ ta fureur aveugle t'avait mené à la destruction. Mais je savais ce que je ferais en cas d'échec. J'ai passé un pacte avec moi-même. Je t'ai aimé, Alexandre, comme tous ceux qui ont vécu à ton contact, et j'ai voulu te suivre pour te protéger contre ton instinct incons cient, pour t'enseigner une sagesse différente de celle que pos sèdent les sages qui t'ont instruit, et les guerriers qui ont fait de toi un instrument de destruction invincible. Mais ton tantra ne peut être fléchi, je le sais à présent. Je vois ce qui te menace, je vois ce qui est imminent. " Il leva les yeux et échangea un regard avec Aristandre. " Voilà
ce qui augmente ma souffrance. Si je vivais assez longtemps pour voir cette menace se réaliser la souffrance m'empêcherait à jamais de rejoindre l'extrêmé imperturbabilité, de dissoudre mon ‚me dans l'infini. Tu ne le veux pas, Alexandre, tu ne le veux pas, n'est-ce pas ? "
Alexandre lui prit la main. " Non, répondit-il d'une voix brisée par l'émotion. Je ne le veux pas, Kalané. Mais, s'il te plaît, parle-moi de cette terrible menace.
--J'ignore ce dont il s'agit. Je la sens, c'est tout. Et je ne peux le supporter. Permets-moi de mourir ainsi que j'ai juré de le faire. "
Le roi déposa un baiser sur la main squelettique du grand savant, puis il se tourna vers Aristandre et lui dit: " Recueille ses dernières volontés et transmets-les à Ptolémée afin qu'il les fasse exécuter. Je, je... ne peux pas... "
Et il sortit en pleurant.
Le jour dit, Ptolémée effectua ce qu'on lui avait demandé et c'est ainsi que commença le dernier voyage de Calanos vérs l'imperturbabilité infinie.
Le compagnon d'Alexandre fit élever un b˚cher funéraire de dix coudées de hauteur et treize de largeur. Il déploya cinq mille pézétaÔroÔ revêtus de leurs armures de parade le long de la voie d'accès, et ordonna à un cortège d'enfants d'y jeter des pétales de roses. C'est alors que Calanos se présenta. Il était si faible qu'il ne pouvait plus marcher: quatre hommes le por taient sur une civière. Des couronnes de fleurs ornaient son cou, selon la coutume indienne. On le déposa sur le b˚cher aussi nu qu'au jour de sa naissance, tandis qu'un choeur dé jeunes gens chantaient les hymnes suaves de sa terre natale. Puis on plaça une torche entre ses mains.
Alexandre avait d'abord décidé de ne pas assister à cette céré monie.
Voilà pourquoi il avait prié Ptolémée d'exécuter les der nières volontés du sage indien. Mais au dernier moment, il se rappela que Calanos avait veillé
sur lui alors que lui-même ago nisait, et il voulut lui faire ses adieux.
Il avança sur la voie et s'ar rêta au pied du b˚cher funéraire. Il contempla cet homme nu et songea à Diogène, couché devant son tonneau, sous le soleil d'une soirée lointaine. Alors les mots que le philosophe cynique lui avait adressés au cours du tête-à-tête qui s'était ensuivi remontèrent à sa mémoire. Les mots mêmes que Calanos avait prononcés sans ouvrir la bouche, dans l'obscurité de sa tente, tandis qu'il était lui-même occupé à
lutter contre la mort:
" Aucune conquête n'a de sens, aucune guerre ne mérite d'être menée. En fin de compte, la seule terre qui nous reste est celle o˘ nous serons ensevelis. "
Il leva la tête et vit le corps de Calanos, enveloppé dans un tourbillon de flammes. Il s'aperçut que le sage souriait, il eut même l'impression qu'il bougeait les lèvres et murmurait quelque chose. Sa voix était couverte par le grondement des flammes, mais cela ne l'empêcha pas de résonner en lui. Elle
disait:
Nous nous reverrons à Babylone.
62
Alexandre quitta aussitôt Persépolis, qui avait semé en lui de tristes souvenirs, puis il marcha vers Suse, o˘ il arriva au coeur de l'hiver.
Il s'empressa de rendre visite à la reine mère, qui fut émue de le revoir. Elle courut aussitôt au-devant de lui en le saluant à la grecque d'une façon très familière: " Chaire pai !
-- Ton grec est parfait, mère, la
Weitere Kostenlose Bücher