Alias Caracalla

comme * Rex la veille, Bidault n’a pas parlé de
barrages qui sautent, de trains qui déraillent, de
Boches qu’on assassine. C’est pourtant le but de ma
mission ! L’allusion aux ambitions des chefs ne
m’intéresse guère : je n’ai tout de même pas été
parachuté en France pour faire la conversation avec
de vieux messieurs…

    Samedi 1 er  août 1942

     

    Qu’est-ce qu’un secrétaire ?

    Ce matin, j’apporte à * Rex les plis relevés dans sa
boîte à lettres de la rue Victor-Hugo. La plupart
sont rédigés sur le même modèle : nom de l’expéditeur inscrit en haut à gauche de la feuille (« De X
à Régis »), tandis que la date est indiquée sur le
côté droit. Le message, en style militaire, est bref.
Il commence et s’achève sans formule de politesse :
demande de rendez-vous, présentation de budget,
projet de texte, organisation de réunion, envoi de
tracts, journaux, etc.

    Après avoir lu ces billets, * Rex griffonne des réponses que je mets sous enveloppe. Il me prescrit
d’apprendre par cœur les adresses des boîtes et les
noms de leurs propriétaires, ainsi que ceux des destinataires des billets. Il me demande aussi d’avoir
ma propre boîte afin de ne pas surcharger lasienne 16 .
Comme je demeure silencieux, il ajoute, comprenant sans doute mon embarras : « Les “mouvements” vous en fourniront une. » N’ayant encore
rencontré aucun représentant de ces fameux mouvements, je n’ose lui demander où et quand je les
contacterai. Sans doute d’autres membres de son
secrétariat s’en chargeront-ils.

    Il m’explique ensuite mes nouvelles fonctions : je
dois organiser et maintenir toutes les liaisons avec
les responsables des mouvements, les officiers de
liaison des zones libre et occupée, ainsi qu’avec les
différents services (faux papiers, parachutages, etc.)
et les opérateurs radio, qui sont le seul lien permanent avec Londres. Il me prescrit en outre de recruter
en priorité une dactylo pour taper la correspondance. Elle évitera les erreurs de lecture des télégrammes et des rapports envoyés, tout en protégeant
l’anonymat des rédacteurs. Je dois l’installer dans
un bureau, où elle travaillera seule. Personne ne doit
connaître son adresse. Son unique liaison avec l’extérieur sera un courrier, que je dois recruter également.

    La correspondance s’effectuera par l’intermédiaire
de boîtes. Lyon en est richement pourvu, car les
immeubles n’ont pas de concierge. Les propriétaires de ces boîtes me confieront une clef afin que
moi-même ou mon courrier relève les plis plusieurs
fois par jour. Mon courrier devra être en relation
permanente avec ceux des mouvements. Je maintiendrai la liaison avec les chefs des services et lesadjoints des chefs des mouvements auxquels * Rex
me présentera. En collaboration avec eux, je devrai
organiser les réunions et transmettre les instructions.

    « Vous conserverez les fonds envoyés par Londres
chez des gens sûrs et les distribuerez selon mes
indications. Tenez-en soigneusement le relevé en
indiquant la date, la personne à qui vous les remettez et le destinataire. Tous les mois, vous joindrez
ce relevé au courrier de Londres. » * Rex m’indique
également les boîtes des radios et des officiers de
liaison, avec lesquels il me demande de prendre
rendez-vous immédiatement.

    Pour ma propre sécurité, je dois en outre trouver
une chambre indépendante et quitter au plus tôt les
résistants qui m’hébergent. Il ne me cache pas que
c’est un véritable tour de force à Lyon, engorgé depuis
l’armistice par les réfugiés. Il me conseille de lire
les annonces des journaux et de consulter les agences. Je lui avoue qu’à l’exception de mes hôtes je ne
connais personne à Lyon. Il répète : « Ne vous tracassez pas ; j’ai demandé aux mouvements de vous
aider. Ils m’ont promis de vous fournir appartement,
bureau, boîte et personnel. »

    Enfin, il me recommande la prudence. Ses conseils
ressemblent aux ultimes instructions du capitaine
*Bienvenue : « Ne vous fiez pas à une sécurité apparente et trompeuse. Vous ignorez qui vous côtoyez
dans les tramways, les rues ou les restaurants : un
simple mot peut vous perdre. Quant aux éventuelles
filatures, vérifiez bien avant vos rendez-vous de n’être
pas suivi : descendez et montez dans les tramways
en marche, rebroussez chemin brusquement dans
les rues, etc. Mais on vous a enseigné tout cela en
Angleterre,