Alias Caracalla
mouvements de résistancem’avait fait croire qu’à côté d’une armée clandestine — annexe des Forces françaises libres — existaient des mouvements politiques analogues aux
partis d’avant-guerre : communistes, Croix-de-Feu,
Action française, etc.
Les instructions m’apportent des informations stupéfiantes sur l’autonomie de la Résistance à l’égard
de la France libre. Je découvre que les mouvements
ne possèdent ni cohésion ni discipline. À tel point
qu’un certain * Nef, alias * Charvet 13 , est considéré
comme peu sûr et que * Rex a toute latitude pour
« réduire son appui financier ». J’apprends aussi que
le dénommé * Bernard 14 souhaite distinguer l’action
militaire de « l’action révolutionnaire ». Le BCRA,
indécis sur cette question, demande à * Rex de trancher. Quant à Franc-Tireur, mon service ignore s’il
s’agit d’un journal ou d’une organisation militaire.
Plus étonnant encore, la France libre dit ne pas
connaître les publications gouvernementales de Vichy
(annuaire de la préfectorale, de l’X, de Centrale, etc.).
Aussi le BCRA demande-t-il à * Rex de lui détailler le
personnel de l’Administration, des préfectures, de
l’armée, de l’industrie, etc., « sur qui [il] pourr[ait]
compter lors de l’action générale ». Il n’est nulle part
question d’un quelconque « baroud » correspondant
à ma qualification militaire, ce qui me déçoit beaucoup.
Malgré tout, j’espère obtenir une place correspondant à ma spécialité dans le programme d’action
« prérévolutionnaire » proposé par le BCRA. Parmi
les actions envisagées, il prévoit des « actes terroristes mineurs » et des attentats : exécutions de collaborateurs, de traîtres et d’Allemands en civil. Peut-être * Rex m’a-t-il choisi pour diriger, au sein de son
secrétariat, une section spéciale terroriste ?
Le courrier contient une lettre personnelle d’André
Diethelm, commissaire national à l’Intérieur, à * Rex.
Diethelm est une figure de la France libre, dont le
journal France a souvent publié la photo. Il a rang
de ministre, ce qui est considérable à mes yeux. Il
donne à * Rex du « Bien cher ami » et termine ainsi :
« Il est inutile, je pense, de vous redire toute notre
affectueuse confiance et nos remerciements pour
votre œuvre. Bien amicalement, et peut-être à bientôt. »
Cette dernière phrase me laisse perplexe. * Rex va-t-il quitter la France pour s’installer à Londres ? Je
peux le craindre puisque, au début de sa lettre,
Diethelm dit espérer que * Rex ne soit pas encore
appelé à de trop « hautes destinées ». Cela signifie-t-il
sa nomination au Comité national ? M’obligera-t-il
à l’accompagner à Londres ?
Inquiet du médiocre résultat de mon travail, je
retourne chez * Rex à l’heure dite. Surprise ! Loin
de me réprimander, il s’en prend aux « gens de
Londres » : « Cet incident n’est pas le premier : c’est
inacceptable ! Ils n’ont aucune excuse, étant donné
les conditions dans lesquelles ils travaillent. » Il me
demande de réclamer par télégramme un résumé
du texte indéchiffrable.
Après avoir parcouru rapidement les instructions,
*Rex me les rend : « Conservez les papiers dont j’ai
besoin. Vous les rapporterez lors de la rédaction de
mes rapports. Archivez-les chez une personne sûre,sans activité dans la Résistance. Je vous indiquerai
les télégrammes et rapports à détruire. » Il ajoute :
« Nous avons rendez-vous avec * Bip, votre “ancien”
patron. Avez-vous choisi un pseudonyme ? » Ayant
oublié, je me décide sur-le-champ pour * Alain, en
souvenir d’André Marmissolle, qui m’avait fait aimer
le philosophe dont je lisais à Bescat, avant mon
départ, Propos sur le bonheur .
*Rex me conduit dans un petit bar sur les quais
de la Saône, non loin du pont Bonaparte. Assis sur
une banquette, un homme parcourant un journal
attend. * Rex me présente. Petit, rond, courtois,
Georges Bidault, alias * Bip, est empreint d’une
onction ecclésiastique évoquant les dominicains,
professeurs de ma jeunesse. Pour la première fois,
j’entends prononcer * Alain, mon nouveau nom. Je
suis étonné du naturel avec lequel * Rex l’utilise.
« J’espère que vous ne m’en voudrez pas d’avoir
confisqué votre jeune collaborateur. Je suis harcelé par les tâches subalternes, et j’ai besoin d’un
secrétaire. Mais je ne vous oublie
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