Alias Caracalla
n’est-ce pas ? »
Du lundi au samedi, * Rex demeure à Lyon. Je dois
venir chez lui tous les matins à 7 heures et le revoir
le soir (éventuellement pour dîner), ainsi qu’à midi
si nécessaire. Il insiste sur l’obligation de changer
souvent mes lieux de rendez-vous et d’être ponctuel : avant d’arriver, je dois observer de loin les
abords et ne jamais attendre plus de cinq minutes
au même endroit. Lors de mes rendez-vous avec les
résistants, je dois prévoir un « repêchage », le même
jour ou le lendemain, en cas d’empêchement. Avant
notre rendez-vous du matin, je dois relever sa boîte,
décoder les télégrammes de la nuit, acheter quelques
journaux ( Le Figaro , Le Temps , L’Action française , Le Progrès et Gringoire ) et les parcourir, afin de lui
signaler les événements ou articles importants.
En cas de nécessité, je peux le joindre le dimanche par l’intermédiaire de * Claudie 17 , son courrier
personnel, avec qui je maintiendrai un contact quotidien durant ses absences. * Rex m’annonce qu’il me
présentera à * Frédéric 18 , son représentant en zone
occupée, avec qui je devrai également établir une
liaison permanente.
« Sur les fonds que vous conserverez, vous prélèverez chaque mois 1 200 francs pour votre salaire.
Pour les extras, vous me communiquerez vos notes
defrais 19 . » À l’exception de son « adjoint » en zone
occupée et de son courrier personnel, il n’a mentionné personne d’autre. J’ai peine à croire que je
serai seul pour accomplir le travail prescrit.
Profitant de l’évocation de son courrier, je lui
demande quand il me présentera aux autres membres du secrétariat : « Mais mon secrétariat, c’est
vous ! » Cet homme, que le capitaine * Bienvenue
m’a présenté comme le « grand patron », le chef de
la Résistance et, en quelque sorte, un de Gaulle bis ,
est donc seul pour exécuter les tâches subalternes !
Qu’est-ce donc que la Résistance pour vivre dans
une telle précarité ? Et sa sécurité ? Ne dispose-t-il
d’aucune garde rapprochée ?
Je me hasarde : « Pour protéger les émissions radio
ou les réunions, il faut tout de même, selon les consignes des Anglais, un minimum d’hommes armés.
— Il y a deux manières d’envisager la sécurité :
soit celle d’un affrontement permanent exigeant des
hommes armés en nombre suffisant pour abattre
les policiers, rarement nombreux ; soit redoubler de
prudence et n’avoir jamais d’armes sur soi, ni bien
sûr de garde du corps. J’ai choisi la seconde. »
À mon air perplexe, il sent la nécessité de s’expliquer : « Si vous êtes pris dans une rafle — elles sont
en général destinées à lutter contre le marché noir
— ou si vous êtes arrêté au cours d’une réunion, il
vaut mieux avoir prévu des issues de secours pour
vous enfuir et n’avoir aucun document compromettant sur vous. Une bataille rangée n’est jamais gagnée
d’avance. Pour ma part, je ne suis pas armé dans la
rue ou durant mes rendez-vous, ni protégé nulle part.
Partager un secret à plusieurs multiplie les présences autour du lieu de rendez-vous et comporte plus
de risque d’indiscrétion qu’une vigilance de tous les
instants. »
Il ajoute une dernière instruction : je devrai
l’accompagner à chacun de ses rendez-vous muni
des documents dont il aura besoin, que je lui remettrai au dernier moment. Il m’indiquera le lieu exact
du rendez-vous, et je devrai aller chercher la personnepour l’y conduire. « Quant à vous, je vous demande
de ne jamais être armé dans vos déplacements. Pour
les “radios”, mais aussi les officiers, lors des opérations de parachutage ou de transport d’armes, et
les saboteurs, il en va bien entendu autrement. » Si
déconcertante que me paraisse la déclaration de * Rex,
je me garde de tout commentaire. Depuis deux ans,
j’obéis.
Durant cette première matinée de travail, il ne
manifeste aucunement la distance hiérarchique
existant dans l’armée. En dépit de la netteté de
ses consignes et de ses ordres — dont j’ai compris,
d’après le ton, qu’il ne convenait pas de les enfreindre —, il conserve la courtoisie naturelle que j’ai
remarquée avant-hier, lors de notre dîner. Au gré de
mes premières rencontres et des humeurs de * Rex,
un point demeure toutefois obscur : j’hésite toujours sur sa profession. La précision de ses consignes
me fait croire ce matin que *
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