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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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l’anachronisme qui me hantesous une forme nébuleuse : la monarchie est une
utopiemorte 22 .

    Absorbé par ma lecture, je manque d’être en
retard au rendez-vous avec François Briant. Nous
avons décidé de dîner ensemble parce que, demain,
il part tôt rejoindre ses fonctions, dont j’ignore
tout.

    En m’asseyant à côté de lui, je suis encore dans
un état somnambulique. Je lui explique ma découverte et lui lis à haute voix les portraits drolatiques
que Rebatet trace de Bernanos et de Mauriac. Briant
est un inconditionnel de Bernanos, qu’il m’a fait
découvrir. Quant à Mauriac, nous avons communié
avec ferveur dans la lecture de Thérèse Desqueyroux et de La Vie de Jésus . Un personnage différent de
celui que nous admirons surgit des Décombres  :

L’homme à l’habit vert, le bourgeois riche, avec
sa torve gueule de faux Greco, ses décoctions de
Paul Bourget macérées dans le foutre rance et
l’eau bénite, ses oscillations entre l’eucharistie et
le bordel à pédérastes qui forment l’unique drame
de sa prose aussi bien que de sa conscience, est
l’un des plus obscènes coquins qui aient poussé
dans les fumiers chrétiens de notre époque. Il est
étonnant que l’on n’ait même pas encore su lui
intimer le silence.

    Je surveille Briant du coin de l’œil et suis heureux
de l’entendre s’abandonner à la joie physique de
« notre » rire. Sa pudeur accepte ce lien sans réserve.
Il excuse tout, à la seule exception de mes doutes
religieux périodiques.

    Souhaitant que notre séparation demeure une fête
dans notre mémoire, nous cherchons un bon restaurant. Dans ce Lyon inconnu, nous ne possédons
aucune adresse du fameux « marché noir ». Je n’ose
retourner dans le restaurant de *Rex, bien qu’il soit
proche. On y mange certes à sa faim, c’est-à-dire
très bien par rapport aux gargotes que j’ai essayées,
mais bien que mon patron n’ait rien dit, je devine
que chaque résistant doit organiser son propre
réseau de lieux de rencontre, de cafés ou de restaurants, qu’il s’agit d’oublier en les quittant. Quant aux
bouchons que j’ai découverts, je ne les juge pas
dignes de nos adieux.

    Dans une petite rue près de la place de la République, nous entrons au hasard dans un restaurant
dont l’aspect élégant nous semble de bon augure.
La chance nous favorise : nous dînons beaucoup
mieux qu’à notre faim.

    Nous évoquons nos impressions sur notre retour
en France. Pour la première fois, Briant est plus
catégorique que moi, notamment sur la pauvreté
des foules que nous côtoyons  : tous les produits sont
des ersatz de mauvaise qualité, et partout les gens
font la queue devant des magasins à moitié vides.
Désignant mon livre : « Le papier est de mauvaise
qualité, comparé aux ouvrages britanniques ou même
à ceux d’avant-guerre. » Il a raison sur certains
aspects de l’existence, mais je suis moins catégorique. Après quelques jours à Lyon, en dépit de la
tristesse ambiante, je suis plutôt rassuré : l’existence y est normale, à quelques détails près. Il me
regarde fixement : « Si tout est comme “avant”, pourquoi avons-nous peur ? » Son regard refuse tout
mensonge, et je ne réponds rien.

    Depuis deux ans, nous partageons la même aventure ; si je suis en France, c’est grâce à lui. Son frère,
dont il est sans nouvelles depuis longtemps, se bat
quelque part en Afrique. Tour à tour, mes camarades
de 1940 ont disparu de ma vie. Briant, seul, demeure
avec moi, pour quelques heures encore. Nous sommes trop jeunes et trop pudiques pour manifester la
mélancolie de cette séparation.

    Dimanche 2 août 1942

     

    Mes deux patrons

    Tôt éveillés, nous sommes les premiers à faire notre
lit, nettoyer le salon et user du minuscule cabinet
de toilette afin de le libérer pour nos hôtes. Nous
demandons à M. Moret de nous aider à déplacer le
Mirus afin de récupérer le poste et le revolver de
Briant. Il boucle sa valise quand la sonnette retentit. *Claudine l’attend à la porte. Surpris, nous
n’avons pas le temps de nous faire nos adieux. Mais
qu’ajouterions-nous aux souvenirs égrenés la veille ? Il
me quitte sur un dernier regard. Nous n’avons pas
besoin de nous serrer la main pour connaître l’attachement de nos cœurs.

    En silence, sa valise à la main, Briant descend les
quelques marches de l’entrée. Il ne se retourne pas.
Le regardant partir, j’ai brusquement conscience

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