Alias Caracalla
beaucoup d’entre nous, surtout parmi les lycéens, approuvent les réformes de Vichy imposant une morale à
la vie publique autour des valeurs d’ordre et de patrie.
Nous ne pouvons que nous réjouir que la Franceentreprenne enfin la rénovation de ses institutions
selon les principesnationaux 11 .
Au lieu d’approuver cet effort effectué au milieu
des ruines du désastre, le journal ne cesse de le
caricaturer et d’exalter la démocratie dont les miasmes et la perversité ont conduit le pays aux abîmes.
Le divorce est total entre le journal et les volontaires, ou du moins d’une bonne partie d’entre eux.
J’évoque la question avec Briant. Même s’il ne
partage pas ma véhémence, il se montre d’accord
avec mes idées : nous faisons la guerre pour libérer
la France non seulement des Boches, mais également des démagogues et généraux battus.
De Gaulle, tournant le dos au passé, vient de l’affirmer à la radio : les Français libres établiront un
ordre national contre les folies républicaines. Gonflé à bloc par ce programme d’avenir, je préconise
de crier notre désaccord au journal, dans unelettre-manifeste 12 .
Voici des extraits de cette lettre :
Monsieur le Rédacteur en chef,
C’est bien tardivement, et je le regrette, que ma
lettre vient se joindre aux nombreuses missives qui,
j’en suis sûr, ont précédé la mienne. Il s’agit de
l’article sur Léon Blum paru le mercredi 18 septembre 1940 dans votre journal, je dis bien votre
journal, car il n’est pas question pour un légionnaire de soutenir cette feuille qui, depuis le premier numéro, n’a pas su exprimer le moindre de
nos sentiments à l’égard de la France, de nos
chefs, de ceux qui sont restés loin de nous.
Par vos articles et vos émissions radiophoniques agrémentées des chevrotements du patriotard internationaliste J. Romains, la pythonisse
Tabouis, l’acrobate P. Cot et autres, vous n’avez
pu jusqu’ici tromper qu’un petit nombre de vos
lecteurs. Le passé étant, pour nous tous, lettre
morte, nous avions abandonné toute polémique,
soit par la parole, soit par l’écrit.
Des hommes n’ayant aucun sens de l’honneur,
aucun scrupule, aucun sens moral, trahissant le
passé de la France, ses héros, ses morts et les plus
récents, ceux de 14[-18], ont livré le pays sans
défense à l’envahisseur victorieux. De ces hommes
nous nous efforcions, par un accord tacite, de ne
jamais parler. Pour l’instant, il nous faut agir et
réparer les fautes dont nous ne sommes nullement
responsables, mais que nous prenons à charge,
pour avoir, dans un avenir plus ou moins proche, la fierté de nous dire français.
Comment faire ?
Par les armes. Alors, depuis deux mois, nous
nous efforçons de toute notre force et de toute notre
raison de devenir des soldats. Aucun répit, aucune
joie. Un seul but nous absorbe : une France libre,
heureuse, rayonnante.
Et voilà que, malgré la retraite où nous nous
étions isolés afin de travailler à l’abri de tout ce
qui aurait pu entraver notre marche vers la réussite, la boue que nous avions fuie a rejailli surnous. Cette exhumation a eu l’honneur de deux
colonnes en deuxième page de votre journal. Elle
nous a été plus que pénible : cruelle. […]
Le général de Gaulle disait : « Ne valent, ne
comptent que les hommes qui savent agir aux
rythmes de la catastrophe qui nous entraîne. »
Nous découvrons qu’il y a des hommes qui
comptent, puisqu’ils ont un journal à eux, et qui
pourtant ne savent pas agir au rythme qui nous
emporte. Ils n’ont pas compris. Ils sont sourds.
Ils continuent leur rêve insensé au milieu de la
tourmente.
C’est un plaidoyer pour [Léon] Blum, ce sont
des critiques incohérentes et systématiques sur le
gouvernement de Vichy, c’est hier soir le rappel
scandaleux d’une date ignorée de tous : l’anniversaire de la fondation de la I re République. Nous
aurions pu espérer que France , journal d’information, nous tienne au courant des nouvelles de
France et d’ailleurs, nous donne des communiqués, des extraits de presse, le tout objectivement,
c’est-à-dire sans commentaires tendancieux. Mais
nous voilà repartis dans la polémique la plus nuisible, celle des réhabilitations. Vous pleuriez l’autre
jour au sujet de l’incarcération de Torche-Zay 13 ,
aujourd’hui sur celle de Blum, réclamant l’indulgence, à nous qui demandions, avant de quitter
notre pays, sa peau.
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