Alias Caracalla
un soldat est
considéré comme déserteur. Remâchant mon malheur, je n’entends plus le bruit des bombes. Perdu
au milieu de cette foule placide, je me vois le crânerasé, condamné à la prison pour la durée de la
guerre.
Mes camarades ne semblent pas s’inquiéter des
conséquences de notre retard. Avec l’aurore, le bombardement cesse enfin. À 8 heures, le train démarre.
Nous arrivons au camp à 10 heures passées.
Lorsque nous nous présentons au poste de garde,
l’officier de service enregistre nos explications, non
sans quelque scepticisme, et déclare : « Vous serez
fixés sur votre sort ce soir par vos officiers. En
attendant, rejoignez immédiatement votre section
pour l’exercice. »
Le soir, lors du rassemblement du bataillon pour
la descente des couleurs, le commandant Hucher
s’adresse aux retardataires du matin : « Compte tenu
des circonstances exceptionnelles, je ne prendrai
aucune sanction. Dorénavant, les permissionnaires
pour Londres devront, quoi qu’il arrive, prendre leurs
précautions afin de rentrer au camp pour l’appel du
soir. Aucun retard ne sera toléré, les sanctions prévues seront appliquées. »
Mercredi 11 septembre 1940
Premier tir
Notre entraînement militaire se poursuit tout l’été
avec frénésie. Nos officiers ont l’ambition de créer
une unité d’élite capable de participer au combat
lors du débarquement des Allemands. Les rumeurs
et les discours de Churchill l’annoncent depuis des
semaines.
Dès que nous avons su démonter et remonter nosarmes les yeux bandés, nous avons été conduits au
champ de tir. C’est pour moi une grande satisfaction
de réussir de meurtriers groupements de balles.
Les manœuvres deviennent complexes et nous
conduisent chaque semaine de plus en plus loin du
camp. Nous exécutons maintenant des marches
d’endurance de trente à quarante kilomètres en tenue
de campagne, c’est-à-dire avec tout l’équipement
sur le dos. J’entonne avec mes camarades les chants
que l’on nous a appris. Ont-ils une vertu magique ?
Nous oublions la fatigue.
Aujourd’hui, la section est épuisée : la charge des
sacs est devenue insupportable. Pour la première
fois, mes chers Bretons vacillent, deviennent muets.
Je ne sais la rage qui me saisit, mais alors que je suis
moi-même au bord de la chute, je me redresse et
enchaîne l’un après l’autre les chants les plus populaires que nous connaissons. Les autres suivent. En
rentrant, je m’effondre sur mon lit de camp.
Après un bref répit, mes camarades se changent
pour sortir, réveillés de leur torpeur par la perspective des petites Anglaises. C’est alors que le lieutenant
entre, se dirige vers mon lit et me félicite : « Bravo
pour votre endurance, Cordier. Pour vous récompenser, vous avez une permission de minuit. » Je suis
très fier de cette distinction. Pourtant, après son
départ, je me déshabille et me mets au lit. Tandis
que mes camarades partent à Cove pour danser, je
rejoins le néant.
La BBC annonce que Churchill va prononcer un
important discours dans la soirée, à 6 heures et
demie. Briant, Guéna, Montaut et moi l’attendonsautour de la TSF. Comme d’habitude, Berntsen
traduit.
Le Premier Ministre évoque d’abord les batailles
aériennes et les bombardements en cours. En dépit
de l’infériorité numérique de la Royal Air Force, il
annonce des pertes allemandes de trois contre un,
pour les appareils, et de six contre un, pour les
pilotes.
Il décrit ensuite les préparatifs maritimes et terrestres des Allemands en vue de l’invasion de la
Grande-Bretagne, prévue pour la semaine prochaine.
Il insiste sur la conduite attendue des citoyens :
« Chaque homme, chaque femme doit donc se préparer à faire son devoir, quel qu’il soit, avec un
orgueil et un soin particuliers. »
Après avoir proclamé sa confiance dans la capacité de tous, il termine en appelant chaque homme
valide à se battre sur chaque pouce de terrain, dans
chaque rue de chaque village : « C’est avec une
confiance religieuse, mais certaine, que je dis : “Dieu
défendra le droit.” »
Berntsen ne traduit pas mot à mot ce long et
solennel discours, mais nous en indique le sens général. À la fin, nous le pressons de nous répéter exactement la dernière phrase : « Il a dit que ce serait
très dur, que l’on ne pouvait prévoir quelle serait
l’issue, mais que si l’on repoussait l’invasion on
gagnerait la
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