Alias Caracalla
surcroît, je ne trouve ni 390 fusils comme la première fois, ni 403 comme la deuxième, mais 397…
J’en découvre finalement assez rapidement la
cause : durant les pauses que les chasseurs effectuent au cours des manœuvres de compagnie ou de
bataillon, ils forment des « faisceaux ». Au coup de
sifflet du lieutenant, tout le monde se précipite pour
prendre son arme. Les premiers se servent au hasard,
et les derniers partent avec celles qui restent.
Concernant les variations du nombre d’armes,
disons qu’elles relèvent du mystère de l’armée…
Dans les jours qui suivent, j’aurai beau multiplier
les contrôles dans les chambrées ainsi que durant
les exercices, il y en aura chaque fois trop ou pasassez 5 .
Dimanche 11 mai 1941
En l’honneur de Jeanne d’Arc
Périodiquement, nous sommes invités dans les
villes anglaises pour défiler à l’occasion d’une fête,
d’un anniversaire ou de la remise d’un drapeau.
Aujourd’hui, c’est la fête de Jeanne d’Arc — anniversaire de l’attaque allemande de l’année dernière —,
et nous sommes désignés pour défiler dans Londres :
les régiments du roi nous accueillent dans les
Wellington barracks , près de Buckingham Palace.
L’amiral Muselier, qui préside la cérémonie, nous
remet les drapeaux destinés aux unités de la marine,
de l’aviation et des régiments d’Afrique. Les aspirants forment la garde d’honneur autour du lieutenant Labaume. Quant à moi, je suis désigné chef de
groupe. À ce titre, et pour la première fois, je commande, pour de vrai, douze chasseurs. C’est également la première fois que nous défilons derrière notre
drapeau, qui nous est remis devant la statue du
maréchal Foch.
La cérémonie se déroule sous une pluie de cendres. Le bombardement de la nuit précédente a été
le plus terrible que Londres ait connu. De 9 heures
du soir à 4 heures du matin, par vagues successives,
l’aviation allemande a détruit des quartiers entiers.
Les autobus qui nous transportent ont quelques difficultés à se frayer un passage parmi les décombres.
Au dépôt central de la France libre, il y a eu deux
morts et quinze blessés. Partout, le déblaiement
donne lieu à une activité fébrile des militaires. Quant
aux civils, ils vaquent à leurs occupations, as usual .
On annonce un millier de morts.
Sur notre passage, le public est un peu moins
nombreux que d’habitude, mais il nous manifeste
une identique ferveur.
La messe solennelle qui suit, dans la cathédrale
catholique de Westminster, est présidée par le cardinal Hinsley. Son adjoint fait un sermon émouvant
en français, rappelant la réponse de Jeanne d’Arc à
la question « Dieu aime-t-il les Anglais ? » : « De la
haine de Dieu pour les Anglais, je ne sais rien, mais
il veut qu’ils quittent la France et retournent chez
eux. » Paradoxe de l’histoire : ce sont nous autres
Français qui appelons les Anglais à venir « chez
nous » pour « bouter » les Allemands hors de France !
Le lieutenant Dupont tire les conclusions de cette
journée : « La France ne se relèvera qu’après avoir
demandé à Dieu le pardon de ses fautes. La France
ne sera grande, forte et belle que chrétienne. Nous
voulons Dieu dans la patrie et dans la famille. Nous
voyons bien où le reniement de sa foi a conduit la
France. Elle est maintenant à genoux : qu’elle en
profite pour prier, pour bien prier, et qu’elle se
remette à la lutte avec confiance. Avec l’aide de Dieu,
l’impossible n’existe pas ; Jeanne d’Arc l’a bien prouvé.
Notre fête nationale, désormais, ne doit plus être le
14 Juillet, mais le jour de la fête de Jeanne d’Arc. »
Nombre d’entre nous le pensent.
Jeudi 12 juin 1941
Le moral à zéro
J’ai dit que la création du peloton avait jeté la
consternation parmi le bataillon à cause de la déchirure des amitiés. Sa fin ruine aujourd’hui mon
moral.
Pour la première fois de ma vie, je m’approche
par moments du désespoir. Après la rupture de l’été
1940, je ne comprends plus mon engagement dans
cette armée, tant mon activité est devenue dérisoire.
J’ai tout quitté pour venger la patrie, et, après un an
d’espérance et de dur labeur, je me retrouve à former de jeunes recrues.
L’exil et l’inaction composent un cocktail détonant. Je ressens la seconde comme une injustice. Je
ne suis pas le seul. J’en parle au capitaine
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