Alias Caracalla
c’est lui qui réussit l’évasion dont nous
rêvons tous ! « Comment as-tu fait ?
— Grâce à un de mes camarades scouts de Londres,
j’ai rencontré un officier des services secrets de la
France libre, leBCRA 6 , qui m’a proposé de m’engager
dans le service pour des missions en France.
— Pour faire quoi ?
— Je ne sais pas. On ne pose pas de question dans
ce service. Je sais seulement que c’est pour combattre les Boches. » Lui ne dit pas « tuer ».
Venant d’un autre, je croirais à une galéjade, tant
cette histoire est invraisemblable dans la prison
où nous sommes détenus. Je n’en reviens pas de la
facilité d’une telle mutation. Mon camarade Henri
Beaugé a posé sa candidature auprès du général de
Gaulle lui-même pour accomplir une telle mission
mais ne l’a pas encore obtenue. Il se morfond, comme
nous tous, au camp.
« Acceptent-ils d’autres volontaires ?
— Je ne sais pas, mais je peux demander. L’officier est encore là. Est-ce que tu veux le voir ?
— Quelle question ! »
Briant m’offre peut-être la chance que je n’espérais plus. Depuis le discours de Pétain, le 17 juin
1940, je n’ai pas vécu un aussi grand trouble.
Après un moment d’éternité, Briant revient, serein
comme toujours : « Il est d’accord pour te voir.
— Quand ?
— Tout de suite : il t’attend à l’entrée du camp. »
À l’extérieur du camp, après le poste de garde et
à l’écart dans la forêt, j’aperçois un capitaine des chasseurs alpins en uniforme bleu marine, enveloppé
d’une grande cape.
Intimidé, je salue à six pas, claquant les talons
aussi fort que possible. Il me tend la main et se présente. C’est le capitaine * Bienvenue 7 . Il me demande
depuis quand je suis en Angleterre, de quelle région
de France je suis originaire, enfin si je suis volontaire pour n’importe quelle mission en France.
À la dernière question, je réponds un « oui » suppliant, tant je souhaite le convaincre. Toutefois, je
n’ose le questionner sur le type de mission qu’il meconfierait. Briant m’a bien prévenu : un service
secret, c’est d’abord un secret.
Le capitaine inscrit mon nom sur une liste et me
congédie en me recommandant de ne souffler mot
de notre rencontre à quiconque. La France libre est
si pauvre en hommes que l’ex-bataillon de chasseurs,
dépecé, est le seul réservoir dans lequel tous les services espèrent recruter des volontaires. Le colonel
Raynouard s’oppose à ce débauchage qui fait fondre ses troupes jour après jour. Si * Bienvenue nous
a rencontrés à l’extérieur du camp, c’est parce que
tout recrutement est interdit à l’intérieur.
Jusqu’à mon départ en permission, ce soir, je ne
tiens plus en place. Après cette rencontre, j’entraîne
Briant dans la campagne pour parler librement.
Grâce à lui, j’ai enfin un avenir de combattant.
Impassible, comme à son habitude, il tempère mon
ardeur : « J’y croirai quand nous serons officiellement mutés. En attendant, si nous rêvons trop, nous
risquons une atroce déception. Ils vont examiner
notre dossier : avons-nous les qualités requises ?
— Comment peux-tu dire une chose pareille ? C’est
la chance de notre vie. Il n’y a aucune raison que
nous soyons refusés. Ils ont besoin de têtes brûlées
pour organiser des commandos, débarquer clandestinement, attaquer les Boches, détruire des batteries
de canons, peut-être des bateaux, que sais-je, tout
faire sauter. »
Cette fougueuse anticipation n’est pas de mon
cru. Je l’ai lue hier dans un discours de Staline publié
par France :
Dans les régions occupées par l’ennemi, il faut
former des détachements de partisans à cheval
et à pied, des groupes de destruction pour luttercontre les unités de l’armée ennemie, pour attiser
la guérilla en tous lieux, pour faire sauter les
ponts et les routes, détériorer les communications
téléphoniques et télégraphiques, incendier les
forêts, les dépôts, les convois.
À Londres, en compagnie de Louit, nous couchons
au YMCA, en face de Big Ben. Je ne peux dormir,
mais ce n’est pas à cause du carillon de l’horloge
extraordinaire, qui fait trembler la chambre tous les
quarts d’heure. Maintenant que se profile la chance
de ma vie, ces vacances tant désirées ne m’intéressent plus.
À vrai dire, depuis ma rencontre avec le capitaine
*Bienvenue, je suis inquiet : et si ma mutation
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