Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
était à Angers ? Ou au cours de cette fin d’année 1166, alors que le couple royal était revenu dans l’île ? Ce qui est avéré, c’est qu’Henri en fait sa maîtresse officielle, qu’il s’affiche partout avec elle, s’en montre très épris et qu’il délaisse sa femme. Le coup est d’autant plus rude pour Aliénor que son mari a toujours témoigné pour elle un grand attachement depuis leur mariage. On ne lui connaît pas d’aventure extraconjugale notable – hormis cette histoire d’Avice de Strafford racontée par les biographes de Thomas Becket, mais sur laquelle on peut raisonnablement s’interroger –, ce qui est tout à fait remarquable pour un Prince de l’époque.
On peut penser que la manière de procéder du Plantagenêt, qui officiellement se détache de sa femme lorsqu’il en aime une autre, est, a contrario, la démonstration de l’amour qu’il a porté à Aliénor. Son attitude est celle d’un « monogame » qui ne peut aimer qu’une seule femme. Mais après quatorze années de mariage, Henri n’aime plus Aliénor. Il lui préfère une jeune femme, rousse semble-t-il, qui répond au nom de Rosemonde, la fille d’un chevalier normand, Gautier Clifford. Très vite cette liaison est connue. Gautier Map, toujours caustique, baptise la jeune femme : la rose immonde.
Aliénor ne supporte pas cette situation. La « monogamie » dont elle fait également preuve est aussi étonnante. Car enfin, dans les mariages arrangés, surtout les mariages royaux, aucune reine ne se serait permis de demander la fidélité à son royal mari et de s’offusquer qu’il ait une maîtresse. Aliénor au contraire va s’en montrer extrêmement blessée. On mesure là la profondeur de l’attachement quelle avait pour son mari et qui, dans sa forme, a sans doute paru à l’époque très déplacé.
Il faut dire que la séparation arrive à un moment délicat pour Aliénor. La reine approche les quarante-cinq ans. Elle se doute que l’enfant qui vient de naître, Jean, sera son dernier. Le roi a dix ans de moins qu’elle ; il est dans la force de l’âge. On aurait pu malgré tout attendre de lui un peu moins d’égoïsme. Il lui était tout à fait possible de s’éprendre de la belle Rosemonde sans pour autant installer officiellement la jeune femme. Mais Henri est un autocrate également en matière amoureuse, avant tout préoccupé de la satisfaction de son désir, et ne se souciant pas des douleurs qu’il peut provoquer. Aliénor, elle, se sent doublement humiliée, blessée dans son être de femme et dans son orgueil de reine. Pour couronner le tout, il semble que le cadre privilégié des amours d’Henri et de Rosemonde soit la résidence de Woodstock qu’Aliénor aime particulièrement et qu’Henri et elle ont transformée et aménagée. Le paradoxe est remarquable entre les personnalités hors du commun des protagonistes et une situation qui comporte tous les ingrédients d’un drame bourgeois. Heureusement, Aliénor saura donner, à cette apparente banalité, des rebondissements à la mesure de son tempérament. Mais il faudra pour cela attendre quelques années.
Pour l’heure, nous sommes à Woodstock, en plein conflit conjugal. On aimerait connaître quelques détails sur ces moments, mais les chroniqueurs sont désespérément muets. Les historiens sont obligés d’interroger la légende pour tenter d’entrevoir ce qui s’est passé. Car la légende s’est emparée du personnage de la jeune Rosemonde, Fair Rosamund, pour en faire une image de pureté, d’amour et d’insouciance face à une reine cruelle et impitoyable. « Un nombre infini de ballades et de drames en vers ont célébré en Angleterre la belle Rosemonde et son nom évoque toute une série de légendes dans lesquelles Aliénor tient inévitablement le vilain rôle : non seulement celui de la femme bafouée, mais, plus encore, vindicative, haineuse, qui finit par tuer sa rivale », précise Régine Pernoud {48} . Ce qui est vrai dans ces légendes, c’est très probablement la haine d’Aliénor. On n’imagine pas la reine autrement. Mais de là à tuer sa rivale ! Nous plongeons au plus profond de l’exagération romanesque. Si l’on en croit encore la légende, le roi, pour protéger sa bien-aimée des fureurs de la terrible reine, aurait installé leur nid d’amour dans un pavillon magnifiquement décoré, placé au centre d’un labyrinthe dont lui seul détenait la clé. Alors
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