Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
peut aussi penser que, les mois s’étant écoulés, l’intérêt de la reine pour l’« affaire Becket » a faibli. Il faut d’ailleurs se garder d’accorder trop d’importance à cette affaire.
Si l’on suit l’analyse de John Gillingham et celle de Jean Flori, tous les deux grands spécialistes de Richard Cœur de Lion, elle n’a pas eu, à l’époque, le retentissement que beaucoup d’historiens ont été tentés de lui trouver par la suite. Au cours des cinq années qui s’écoulent entre la fuite de Thomas et son assassinat, Henri a surtout été préoccupé par le gouvernement de ses États et par la continuité de la dynastie Plantagenêt. Au regard de leurs contemporains, le schisme dans la papauté devait revêtir un caractère beaucoup plus préoccupant que les problèmes entre le roi d’Angleterre et l’archevêque de Canterbury.
*
Dans les premiers mois de 1165, le couple royal d’Angleterre se livre à un chassé-croisé. En février, Henri est en Normandie. Aliénor le rejoint quelques semaines plus tard accompagnée de leur fille Mathilde et du jeune Richard. Ils ne font que se croiser à Rouen car le roi retraverse la Manche peu de jours après pour se lancer dans une campagne militaire contre les Gallois. Commencée en juillet, cette campagne est contrariée par des conditions climatiques catastrophiques et l’histoire n’en a pas conservé un souvenir triomphal.
La reine s’installe à Angers d’où elle administre l’Anjou, le Poitou et l’Aquitaine. Au cours de cette année 1165, les voisins bretons se montrent très vindicatifs et turbulents ; il devient évident que le roi va devoir y mettre bon ordre avec fermeté ; une opération militaire se profile pour l’année 1166.
Le roi et la reine se sont peu vus en Normandie mais cette rencontre a été fructueuse – c’est le mot qui s’impose – car Aliénor est à nouveau enceinte. Leur troisième fille, Jeanne, naîtra à Angers en septembre.
Une autre reine est également enceinte : Adèle de Champagne, la troisième femme de Louis VII. Le sort de la dynastie capétienne bascule au mois d’août. La reine de France met au monde l’héritier que Louis n’a cessé d’appeler dans ses prières. L’historiographe du roi relate la nouvelle de la naissance avec grande précision : « Le très noble enfant vint au monde l’an de l’Incarnation du Seigneur 1165, le samedi de l’octave de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie, dans la nuit alors que l’on célébrait l’office de matines. » Le roi de France est fou de joie. Il est à Étampes lorsqu’il apprend la nouvelle. Au serviteur de la reine venu la lui apporter, il délivre un diplôme dans lequel il rappelle « combien il était effrayé du nombre de ses filles » et remercie Dieu d’avoir accordé à lui-même et au royaume « un enfant appartenant à un sexe plus noble {47} ». L’enfant, baptisé Philippe, sera pour l’histoire Philippe Auguste. Giraud de Barri est alors étudiant à Paris, habitant dans le Quartier Latin. Il raconte la liesse qui s’est brusquement emparée de la population à l’annonce de l’heureux événement. La nouvelle est connue dans la soirée, les gens envahissent les rues, les cloches sonnent à toute volée, des lueurs s’agitent un peu partout, on allume des feux de joie, tant et si bien que le jeune homme croit d’abord à un incendie. C’est par deux vieilles femmes hélées dans la rue qu’il apprend la raison de ce tapage. Reconnaissant son accent anglais, elles lui disent : « Dieu a donné un roi par la main duquel votre roi à vous aura honte et dommage ! »
Cette naissance change bien évidemment les rapports entre les Plantagenêt et les Capétiens. La perspective de voir Henri le Jeune porter la couronne de France s’éloigne. Dans le même temps – est-ce une coïncidence ? –, Henri et Aliénor se lancent dans une politique d’alliances. Des pourparlers de mariage commencent concernant leurs deux filles Mathilde et Aliénor ; pour la première avec le duc de Saxe, Henri le Lion, l’un des plus puissants vassaux de Frédéric Barberousse, et pour la seconde avec la cour de Castille. À la cour de France aussi on parle mariages depuis quelques mois : ceux des filles aînées du roi – dont la mère est Aliénor – Marie et Aélis. Louis resserre ses liens avec la famille Blois-Champagne. Marie épouse le comte de Champagne, Henri 1er le Libéral, et Aélis est
Weitere Kostenlose Bücher